Les Tableaux de Loge maçonnique constituent de véritables livres d’images, véhicules privilégiés d’un enseignement traditionnel participant de l’art de la mémoire. Deux livres, complémentaires, nous rappellent ce trésor opératif placé sous nos yeux et souvent trop vite oublié.
Voyages dans les Tableaux de Loge, histoire et symboles de Dominique Jardin, Editions Jean-Cyrille Godefroy.
Dominique Jardin a fait le choix de l’approche historico-critique d’un ensemble très conséquent de tableaux, plus particulièrement ceux présents au Rite Ecossais Ancien et Accepté, mais également certains du Régime Ecossais Rectifié et du Rite Français, tels qu’ils furent arrêtés à la fin des XVIIIème et XIXème siècles.
Il énonce cette phrase forte, lourde de conséquences tant sur le plan symbolique que sur le plan opératif, « Le tableau est à la loge ce que le tablier est au maçon. ». Tout comme le tablier, il marque l’isolement du monde profane et crée ce temps à part, cette parenthèse au sein même du profane que constitue le temps sacré. D’une certaine manière, là où le tableau est dévoilé, le temple est édifié. Bien souvent, il représente les outils et décors présents au grade correspondant dans le temple. Il y a donc une dialectique et un jeu de miroirs entre le temple physique et sa représentation, jeu qui évoque ce qui ne peut être dit et reste caché.
La grande force du travail de Dominique Jardin est de nous offrir, pour explorer ces livres d'image qui peuvent parfois se montrer déroutants, une double méthodologie qui correspond à la démarche initiatique maçonnique d’une part, à la démarche historique d’autre part, pour en dégager des fonctions :
Le maçon du XVIIIème siècle, nous dit-il, entre «progressivement dans le temple et dans la signification de la représentation centrée ; derrière cette signification apparente, il s’agit de faire affleurer un autre sens, le sens caché. C’est pourquoi le tableau devient un support de méditation et un véritable objet pédagogique pour le maçon du XVIIIème siècle, tandis que certains lui attribuent une signification ésotérique (au sens ici de «caché»).»
L’historien « cherche à comprendre et à expliquer la signification des tableaux observés en démontant leur processus de construction. Pour cela, elle met à jour l’utilisation de la technique du tableau dans le tableau, celle de la mise en abîme. ».
Ce double regard, rarement productif, se révèle ici d’un très grand intérêt quand le tableau est étudié en lien avec le rituel, replacé dans le contexte historique et culturel où il fut fixé. Chaque motif est donc appréhendé pour lui-même et dans la dynamique de l’ensemble. Là est la source d’un savoir opératif.
Dominique Jardin fait parler les images, avec érudition et justesse, d’abord les tableaux de loge de la « maçonnerie bleue » puis ceux des grades de vengeance et d’élus, ceux des grades de construction, les tableaux spécifiques de la maçonnerie chevaleresque, des «grands mystères» et des grades «blancs» pour conclure de manière à la fois traditionnelle et audacieuse, évoquant un chemin depuis le « regard substitué » qui analyse au lieu de percevoir, qui commente au lieu de connaître, qui présuppose au lieu de se rendre disponible, au « regard retrouvé ».
Le défi relevé par l’historien est réussi. La démarche historienne n’étouffe pas le sens mystérique mais le soutient. D’une manière renouvelée, Dominique Jardin appelle à «voir».
Anatomie des tableaux de Loge, sous leurs formes symboliques et allégoriques de Percy John Harvey, Editions Dervy.
Percy John Harvey met ses connaissances de l’iconographie religieuse et de l’herméneutique au service de l’analyse des tableaux de loge et plus précisément des relations entre les images composant le tableau et les textes formant le rituel correspondant.
« Cœur » symbolique de la loge, véritable « centre » opératif, autour duquel et par lequel se mettent en place les travaux, le tableau de Loge manifeste l’axialité du Temple. Il est un élément de la culture nomade des loges au début de la maçonnerie spéculative tout comme le rituel d’ouverture qui sacralise l’espace et le rituel de clôture des travaux qui rend l’espace à sa destination profane. Il est un élément de permanence au sein de l’éphémère.
« Catéchisme visuel », il est aussi véhicule d’un enseignement qui se donne à dire, pour une part, mais qui œuvre aussi silencieusement. Cette fonction pédagogique, ancienne, a engendré des tableaux d’une grande sophistication traditionnelle, synthétisant en eux-mêmes, le corpus du grade correspondant.
Percy John Harvey inspecte l’environnement symbolique du tableau de Loge, le Pavé mosaïque, les trois Fenêtres de la Loge, les trois Piliers et les trois petites Lumières avant d’analyser la topographie des tableaux. Il distingue par exemple six zones dans les tableaux des premier et deuxième degrés : un côté obscur, un côté clair, trois sections de haut en bas, une partie médiane, chacune avec une fonction symbolique précise. Il distingue les tableaux des grades symboliques de ceux des grades allégoriques comme celui du grade de Maître. Les invariants des très nombreux tableaux du grade de Maître évoquent fortement la mort et plus subtilement le relèvement.
Comme toujours, Percy John Harvey développe son propos à partir d’une iconographie riche et soignée.
Editions Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.