dimanche 25 novembre 2018

Le Vulnéraire du Christ


Le Vulnéraire du Christ de Louis Charbonneau-Lassay. Editions Gutemberg Reprints, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.

Louis Charbonneau-Lassay (1876-1946) est connu pour son célèbre Bestiaire du Christ. Il a voulu, sa vie durant, rassembler les réponses iconographiques et symboliques à une « obsession du Christ » qui dura quinze siècles et qui imprègne nos arts. Erudit et visionnaire, respectueux de la discipline de l’arcane, membre de l’Etoile Internelle, société initiatique aussi réservée que discrète, son œuvre, essentielle, connut bien des aléas. Louis Charbonneau-Lassay rencontra René Guénon dans le cadre de la revue Regnabit à laquelle il contribua de 1922 à 1929. Ils demeurèrent très proches.

Le manuscrit original du Vulnéraire fut subtilisé aux légataires par un prétendu représentant de la revue Plaisir de France qui disparut dans la nature. D’autres textes préparatoires au Floraire et au Lapidaire furent dérobés au domicile de Louis Charbonneau-Lassay quelques temps avant sa mort. Nous devons à Gauthier Pierozak, spécialiste de Guénon, qui étudie actuellement des archives retrouvées de Louis Charbonneau-Lassay, la reconstitution du Vulnéraire du Christ.




C’est la troisième tentative de reconstitution du Vulnéraire depuis la perte du manuscrit original. La première réside dans la réédition dans les années 1980, par Gutemberg-Reprints, des articles de Louis Charbonneau-Lassay parus dans Regnabit de 1922 à 1926 puis Le Rayonnement intellectuel de 1934 à 1939 dans lesquels le thème du Cœur et des blessures du Christ étaient central. Puis, PierLuigi Zoccatelli publia en trois volumes, en italien, la matière des articles réorganisée pour correspondre aux projets de Louis Charbonneau-Lassay : Floraire, Lapidaire, et Vulnéraire du Christ. C’est sur cette base augmentée de nouveaux documents, correspondances et articles, que Gauthier Pierozak a réalisé ce travail remarquable, la plus proche réalisation possible de l’original, abandonnant l’organisation chronologique pour mieux correspondre à la pensée de l’auteur.

Dans cette version, l’ouvrage est organisée en grandes parties intitulés : Les représentations des cinq plaies du Christ dans l’art chrétien primitif – Figurations de la plaie latérale de Jésus – Les représentations de l’effusion du sang rédempteur – Les plantes emblématiques des cinq plaies du Christ – Les pierres emblématiques du Christ vulnéré – L’emblématique du cœur vulnéré du Christ – L’iconographie du cœur de Jésus dans les armées contre-révolutionnaires de la Vendée – Figurations diverses afférentes ou étrangères au culte du cœur de Jésus. Les nombreuses tables et index proposés font de ce livre un véritable outil de travail pour qui s’intéresse au symbolisme chrétien et à la manière dont le christianisme s’est approprié en les réorientant les symboles non chrétiens.

Erudit, Louis Charbonneau-Lassay est également un artiste véritable dont témoigne la qualité de ses gravures sur bois :
« La magie de l’œuvre de Louis Charbonneau-Lassay, nous dit Gauthier Pierozak, tient à la fois dans la qualité de ses sources iconographiques et archéologiques et dans la qualité des gravures sur bois qu’il a effectuées pour accompagner ces informations d’images emblématiques. Une grande partie des références de l’auteur dans ses travaux sur les Cinq Plaies et le Cœur vulnéré du Christ provient d’ailleurs de sa propre collection personnelle d’objets anciens, qu’il a découverts au cours de ses recherches. »
La qualité des bois et donc des illustrations participe à l’intérêt du travail de Louis Charbonneau-Lassay. En effet, sans la qualité iconographique, ses précieux commentaires perdraient pour beaucoup de leur pertinence.

Voici, à propos du Saint Graal, un extrait, court mais marquant l’importance de ce livre :
« Il est aussi une autre coupe dont j’ai déjà parlé au chapitre précédent en étudiant le symbolisme christique des pierres précieuses, celle des confrères de l’Estoile Internelle, qui est au moins aussi ancienne que les documents que je viens de citer. Dans les écrits qui concernent ce groupement et qui m’ont été communiqués, il n’est point directement question du Saint Graal et pourtant l’insigne principal de cette institution n’est point une étoile, mais un ciboire dans lequel une pierre rouge doit être placée. Nous avons vu précédemment que le Rubis-escarboucle, l’Hématite, la Cornaline, le Jaspe sanguin, le Corail, et toutes les pierres de couleur rouge étaient rangées par nos pères du Moyen-Âge au nombre des emblèmes du sang divin. Le dessin du recueil de l’Estoile Internelle qui représente cette coupe et sa pierre est très explicite car au-dessous nous lisons : … Unus militum lancea, latis ejus aperuit et continuo exivit sanguis et aqua, un soldat lui ouvrit le côté, et il en coula du sang et de l’eau.
C’est à propos de cette pierre rouge de l’Estoile Internelle que je reviens à ce que Wolfram von Eschenbach a dit du Graal dans Parzival, car, pour lui, le graal est une pierre qu’il appelle Lapsit exillis, expression proprement intraduisible que certain sont interprétée par lapis e coelis, « la pierre tombée du ciel » ce qui évoque l’émeraude tombée du front de Lucifer ; d’autres font dériver Lapsit exillis de exilium et traduisent par « pierre exilée » - exilée du ciel – ce qui revient au même. Sur cette pierre, W. d’Eschenbach nous dit que chaque Vendredi-Saint une colombe descendait du ciel en planant et venait y déposer une petite et blanche hostie, et c’est celle-ci qui donnait à la pierre la vertu que toutes les autres versions de la légende du Graal attribuent au « saint Vessel », d’être source intarissable de tous biens, de toutes choses délicieuses et confortantes, et d’être aussi ferment de toute pureté, de toute chasteté. »

Il convient de remercier Gauthier Pierozak pour son travail exceptionnel et d’insister sur l’importance de cet ouvrage, magnifique et indispensable.

lundi 19 novembre 2018

Actes du Colloque Papus


Actes du Colloque Papus. Colloque organisé par l’Ordre Martiniste à l’occasion du centième anniversaire de la mort de Dr Gérard Encausse, dit Papus.
Editions de La Tarente, Mas Irisia, Chemin des Ravau, 13400 Aubagne.

Le 22 octobre 2016 se déroula ce colloque pour le centenaire de la mort de Papus en 1916. Papus fut l’une des figures marquantes de la scène initiatique de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Son influence, multiple et considérable, perdure. Cependant, si le personnage est familier, il reste mal connu. Fondateur de l’Ordre Martiniste (1887-1891), il participa à de nombreux projets ésotériques dont celui de l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix avec Stanislas de Guaita, du Rite swendenborgien, du Rite de Memphis-Misraïm, de l’Eglise gnostique pour ne citer que les principaux. Il fut, avec ses amis des Compagnons de la Hiérophanie, l’un des principaux animateurs de la scène ésotérique française et européenne. Il fut également un grand vulgarisateur, sans que le terme ne soit péjoratif, et fonda deux revues phares de l’époque, L’Initiation et le Voile d’Isis.




Les contributions de Serge Caillet, Roger Dachez, Antoine Faivre, Jean-Pierre Laurent, Michelle Nahon et Jean-Marc Vivenza permettent d’approcher la complexité du personnage comme de l’œuvre.

Serge Caillet revient sur la relation privilégiée entre Papus et Maître Philippe. Leur rencontre se situerait en 1893 ou 1894. Elle bouleversa Papus et donna sans doute une orientation nouvelle à l’Ordre Martiniste, que nous appelons encore la voie cardiaque.

Jean-Pierre Laurent dresse un portrait contextualisé du Papus militant qui incarne à lui seul l’occultisme de la Belle Epoque et son rayonnement.
« Papus, nous dit-il a prolongé le rêve romantique de réconcilier la science et la religion  dans sa lutte antimatérialiste en utilisant les matériaux disponibles à l’époque ou hérités de la science catholique. Son travail de vulgarisation a été gigantesque, plus de cent livres et brochures (…) opposant « la science contemporaine » qui étudie les phénomènes physiques à l’occulte qui par l’analogie s’efforce de s’élever vers l’invisible… »
Papus rassembla autour de lui mais fut aussi clivant et rejeté. Il fallut attendre Robert Amadou pour assister à une forme de réhabilitation qui demeure incomplète.

Jean-Marc Vivenza s’intéresse à la communauté formée par Papus et ses compagnons. Il s’intéresse à des personnalités moins citées que les habituels Marc Haven, Sédir, Guaita et autres mais aussi aux intimes et aux femmes qui comptèrent dans sa vie.

Michelle Nahon traite de Papus, biographe de Martinès de Pasqually tandis qu’Antoine Faivre analyse la place de Louis-Claude de Saint-Martin dans l’œuvre de Papus.

Roger Dachez, en connaisseur, s’intéresse au médecin Papus et à ses méthodes qui, aujourd’hui, peuvent nous sembler fort curieuses. Il restitue le milieu médical de cette période de mutations :
« Dans cette brève évocation, conclut-il, nous souhaitions simplement suggérer que Papus médecin, comme Papus mage ou Papus historien, si déconcertant qu’il puisse parfois nous paraître, fut un homme de son temps. Passionné, mais brouillon, éperdument soucieux de comprendre sans toujours disposer des instruments intellectuels les mieux adaptés, jusque dans sa marginalité, Papus fut le témoin d’une époque et d’un basculement de la pensée. L’ignorance de ce contexte a souvent produit de lui une image en grande partie fausse. »

L’ensemble des contributions permet de résoudre en partie l’ « énigme » Papus. Surtout, les approches, plutôt dimensionnelles, du personnage, substituent des réalités complexes aux raccourcis et préjugés courants véhiculés par la « petite histoire de l’occultisme ».
Ce livre marque ainsi une nouvelle étape des études papusiennes.

Ajoutons, qu’en marge de ce colloque anniversaire, Emilio Lorenzo a transmis la Grande Maîtrise de l’Ordre Martiniste à André Gautier qui, depuis, en assure le renouveau.

Bulletin de la Société Martines de Pasqually n°28


Bulletin de la Société Martines de Pasqually n°28. Année 2018. Librairie Olympique, 23 rue Rode, 33000 Bordeaux.

Au sommaire de ce nouveau numéro du bulletin de la Société Martines de Pasqually, dirigée par Michelle Nahon, nous trouvons trois études intéressantes : Présentation du Corpus Elu Coën (suite) par Thierry Lamy - Ombres et Lumières de Jacques Cazotte par André Kervella - Un théosophe suisse, Jean-Pierre Bourgeois (1777-151) par Dominique Clairembault.

Thierry Lamy met à la disposition du lecteur plusieurs documents du Manuscrit Thory : Cérémonies à observer avant de conférer les grades ; et avant de récompenser les travaux des FF :. -  Cérémonies à observer par les FF Visiteurs – Cérémonies à observer avant d’admettre un profane au grade d’Apprenti – Cérémonies à observer pour les Officiers du Temple des Elus Coëns  - Cérémonies de la réception d’Apprenti de l’ordre des Elus Coëns – Formule de réception de Compagnon de l’ordre des Elus Coëns . Ces documents, croisés avec ceux émanant d’autres sources, permettent d’affiner la compréhension de ces tous premiers grades.

L’étude de la correspondance de Jacques Cazotte par André Kervella permet de découvrir des facettes nouvelles de ce membre de l’Ordre des Elus Coëns et des événements inconnus ou peu connus.

Dominique Clairembault nous apprend que trente années avant l’édition par Chacornac du célèbre Traité de Martines de Pasqually, certaines pages avaient été publiées dans un ouvrage d’Adolphe Franck intitulé La philosophie mystique en France à la fin du XVIIIème siècle, Saint-Martin et son maître Martines de Pasqually.

Le sommaire de l’ensemble des numéros parus depuis la création de la Société Martines de Pasqually publié à la fin du bulletin permet de mesurer tout le travail accompli depuis la création de la Société en 1990.

lundi 22 octobre 2018

Iconographie du Rite Ecossais Rectifié


Iconographie du Rite Ecossais Rectifié, deux volumes par Tomas Grison. MdV Editeur, 16 bd Saint-Germain, 75005 Paris – France.

Nous retrouvons Thomas Grison, passionné par l’iconographie symbolique, qui nous a déjà offert, entre autres, un ouvrage consacré au symbolisme de l’épée.
Il s’intéresse ici à l’iconographie singulière du Rite Ecossais Rectifié à la croisée de deux référentiels qui structurent le rite, le référentiel templariste, salomonien dans sa dimension maçonnique, et le référentiel de la doctrine de la réintégration de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers que Jean-Baptiste Willermoz a voulu préserver au sein du RER.



Thomas Grison analyse les tableaux des quatre grades, d’Apprenti, Compagnon, Maître et Maître Ecossais de saint André et soulève les particularismes de leur iconographie :

« Quant au R.E.R., remarquons qu’il affiche encore une fois son originalité dans le paysage maçonnique car, si les motifs donnés à voir dans les tableaux de grade, trouvent, ici comme ailleurs, leurs sources d’inspiration dans la littérature emblématique, la colonne tronquée (grade d’Apprenti), la pierre cubique sur laquelle est posée une équerre (grade de Compagnon) et, surtout le vaisseau démâté (grade de Maître), ou le lion jouant avec des outils mathématiques (grade de Maître Ecossais de saint André), restent des exceptions qui soulignent le particularisme d’un Rite à la fois dépouillé et intense, en même temps qu’ils illustrent – de la plus heureuse des manières à notre avis – le caractère spécifique d’une doctrine qui, ancrée dans la théosophie mystique du XVIIIème siècle, n’en perpétue pas moins une tradition chrétienne qui entend remonter à l’aube de l’humanité. »

Pour chaque tableau, Thomas Grison explore différents regards symboliques pour arriver à ce qui typifie le rite. Ainsi, pour les colonnes du grade d’Apprenti, il traite des colonnes de feu et colonnes de nuées, des colonnes du Temple de Salomon, du Temple comme image du monde, de la colonne de vérité, de la colonne dans les livres d’emblèmes, de la colonne, l’homme juste, du Temple intérieur avant d’aborder la colonne brisée. Cela permet au lecteur de se référer aux symboliques courantes, notamment vétérotestamentaire ou emblématique, avant de placer le symbole dans le contexte de la doctrine de la Réintégration, comme référence à la seconde chute. 



Thomas Grison insiste sur la subtilité d’écriture de Jean-Baptiste Willermoz qui procède par allusions et phrases lapidaires. S’il clarifie des pans entiers de la doctrine de Martinès de Pasqually, Willermoz n’en est pas pour autant explicite. La sagesse se mérite. Thomas Grison en appelle souvent à Louis-Claude de Saint-Martin, tout aussi clair mais beaucoup plus prolixe, dont les développements permettent de mieux saisir les enjeux symboliques et, consécutivement, opératifs. Ainsi, à propos de la tête de mort, traditionnellement présente dans le Cabinet de réflexion :

« D’une manière subtile dont nous avons compris qu’elle est presque sa marque de fabrique, Jean-Baptiste Willermoz semble n’avoir recours au crâne sur deux os en sautoir que pour nous rappeler l’état de privation dans lequel se trouve l’homme depuis la Chute. Cette privation (de lien avec Dieu), qui est au cœur de la pensée de Louis-Claude de Saint-Martin et du Régime Ecossais Rectifié, prend ici un caractère particulièrement remarquable, en ce sens qu’elle doit être mise en parallèle avec l’absence de la croix sur les représentations. Cette absence, comme nous devons le souligner, demeure en parfaite adéquation avec une doctrine qui tient pour acquises à la fois la déchéance de l’homme depuis la faute adamique, et la possibilité d’un retour à l’innocence originelle qui passe par la soumission à la Justice divine. Pour Jean-Baptiste Willermoz, l’homme privé de Dieu vit dans une ignorance et un aveuglement dont nous devons croire qu’ils renvoient, sur le plan intérieur ou spirituel, au domaine de la mort. Dans le cheminement proposé par le R.E.R., tout le travail consiste donc, en quelque sorte, à « faire mourir la mort en soi afin que la vie soit enfin victorieuse ». Mais il faut comprendre surtout que ce retour à la vie, selon la voie du R.E.R., consiste surtout, et essentiellement, à prendre le Christ pour modèle afin de vivre dans le Christ et par lui, au sens où l’entendait déjà saint Paul. En ce sens, le crâne sur les os en sautoir peut être entendu comme un résumé, sous forme voilée, du processus initiatique qui s’offre au maçon rectifié. »  

Le propos est intéressant, même si l’on pourrait y opposer la présence d’une croix formée par les os, car il insiste sur la finalité du procès initiatique de la réintégration, présente à chaque étape des rituels du RER, ce qui donne sa remarquable cohésion à ce rite.