mercredi 6 juin 2012

Marie-Madeleine


Marie-Madeleine à la Sainte-Baume de Jean-Yves Leloup, Les éditions du Relié.
Jean-Yves Leloup vécut longuement à la Sainte-Baume quand il était directeur du monastère dominicain. Pendant dix années, Il fut à même de s’imprégner des lieux, de cette forêt inattendue dans le paysage du sud-est de la France comme de la grotte où Marie-Madeleine se retira pendant trois décennies. Devenu un haut lieu de la spiritualité, notamment pour les Compagnons, qui vénèrent Marie-Madeleine, la Sainte-Baume, temple naturel, demeure à la fois inaccessible et profondément intime avec chacun.
Le texte de Jean-Yves Leloup, superbe de poésie et de profondeur, se révèle profondément non-dualiste et touche au cœur même de la métaphysique chrétienne en même temps qu’il exprime la claire lumière de l’éveil.
« Ce qui est, c’est la chose, sa représentation et sa non représentation ; c’est le Réel et les réalités qui le manifestent et ne le manifestent pas entièrement. De nouveau elle acceptait « tout » : la chose, son regard sur la chose, le regard des autres, plantes, bêtes et hommes sur la chose, le regard de Yeshoua, le regard de Je Suis, de l’Être au cœur des choses.
De même qu’à certains moments, sa respiration rejoignait le Souffle infini (l’infini d’où vient l’inspir – l’infini où va l’expir), sa vision participait à la conscience infinie dans laquelle apparaissent et disparaissent les mille et une choses.
De même qu’elle « assistait » à l’intérieur d’elle-même à l’apparition et à la disparition de ses pensées dans le clair silence, de même elle « assistait » à l’extérieur à l’apparition et à la disparition des univers dans le clair silence. Le clair silence, elle le ressentait dans des instants de plus en plus longs comme sa véritable demeure. »
Jean-Yves Leloup met en évidence cet art, que nous retrouvons dans la prière du cœur, qui consiste à faire en Son Nom, au nom de l’Enseigneur, c’est-à-dire non pas selon une quelconque délégation mais bien à l’intérieur de Son Nom, au cœur de Son Nom :
« Qu’est-ce qui règne sur moi ? pensait-elle. Quel est véritablement le Maître de mon désir ? et aussitôt elle se joignait à la prière de « Yeshoua » - Je Suis » présent en elle : « Que ton Règne vienne », c’est-à-dire que Ton Esprit, Ton Souffle de liberté m’anime, que je ne sois l’esclave ni de moi-même (de mes pensées, de mon passé) ni de personne. Que je n’obéisse qu’à l’Amour, que ce soit la volonté de la Vie qui se fasse, qui se réalise en moi…
Et de nouveau, elle invoquait le Nom, elle « s’ajustait » à la Présence de « Je Suis » en elle, afin qu’il établisse son règne dans toutes les dimensions de son être : charnelles, affectives, mentales et spirituelles. Elle cherchait d’abord cela, qui est partout et toujours présent ; en Sa Présence, dans Sa lumière et Son Amour, tout lui était donné par surcroît. »
Cette femme, qui a manifesté et perçu la dimension féminine du divin, sans doute même avant d’oser la penser, a réalisé la voie, qui est toujours une simplification, par la dépossession, le dénuement, la pauvreté, laissant émerger la « femme sauvage », libre des conditionnements, par un rappel permanent au Soi, à sa Présence :
« Elle comprenait maintenant. « Je Suis » est le pain de vie : si elle se tenait en Sa Présence, comme Lui se tenait en Présence de la Conscience infinie qu’il appelait Son Père, elle serait nourrie « corps, âme, esprit ». C’est ainsi qu’elle commença à invoquer Son Nom, « Yeshoua », sur le rythme même de son souffle… Les effets ne se firent pas attendre – Yeshoua, « Je Suis » demeurait vraiment en elle, calmait toutes ses faims, toutes ses inquiétudes.
Elle affrontait chaque épreuve en Sa Présence, une épreuve à la fois, une souffrance à la fois, un plaisir à la fois… sans se soucier de ce qui allait venir. Ce qui allait venir était encore du présent, une occasion d’être avec « Je Suis », en Sa présence…
Demain n’existe pas, n’a jamais existé, comme hier n’existe pas, n’a jamais existé. Il n’y a jamais eu qu’aujourd’hui ; hier, lorsque je l’ai connu, était comme « aujourd’hui » ; demain, je ne pourrai le connaître que comme « aujourd’hui ». On ne peut aimer qu’au présent. Dire : j’ai aimé, c’est ne plus aimer ; dire j’aimerai, ce n’est plus aimer encore. »
Si Marie-Madeleine expérimenta toutes les dimensions de l’amour, dans les larmes et dans la jouissance, par le corps comme par l’esprit, elle réussit à traverser l’apparaître pour s’établir en un amour sans objet, un amour absolument libre.
Les éditions du Relié, 27 rue des Grands Augustins, 75006 Paris.


mardi 5 juin 2012

Bruno Etienne et la Franc-maçonnerie


La voie et l’engagement, fragments maçonniques de Bruno Etienne, Editions Entrelacs
Bruno Etienne (1937-2009) politologue et anthropologue fut un Franc-maçon lire penseur, membre du Grand-Orient de France, dont les cours et les textes ont marqué nombre d’individus en quête.
Son œuvre maçonnique, publiée essentiellement dans des revues comme La Chaîne d’Union ou Le Maillon et rassemblée pour la première fois dans ce volume, invite tantôt au silence, clé de voûte du procès initiatique, tantôt à faire penser, sortir des sentiers battus, bousculer les préjugés, nombreux, qui brouillent les pistes. Cet homme et ce frère, d’une grande rigueur intellectuelle et animé d’une passion non moins grande, n’eut de cesse que d’interroger les évidences. En cela il fut philosophe, au sens initiatique du mot, soit quelqu’un qui vit en philosophe.
Les thèmes traités sont très variés, mais avec une égale exigence. Le premier texte traite de La Franc-maçonnerie dans le champ de l’anthropologie religieuse. Bruno Etienne répond à plusieurs questions :
-       La Franc-maçonnerie est-elle une confrérie ?
-       Qu’est-ce qu’un ordre ?
-       Secte et société secrète.
Il poursuit son investigation anthropologique de la Franc-maçonnerie dans une autre étude intitulée Propos épars et méthodiques sur l’initiation. Plusieurs distinctions sont abordées comme rites de séparation et rites d’entrée, mais aussi initiations tribales, initiations religieuses, initiations magiques. Il s’intéresse ensuite aux différents types d’interprétation : intelligence du caché, sortie du rêve infantile d’un monde non désenchanté, interprétation psychanalytique. Nous n’avons pas avec Bruno Etienne d’approche opérative et métaphysique traditionnelle intégrée. Cependant, son approche est tout à fait intéressante même dans l’approche psychanalytique qui, construite à partir du modèle jungien, permet au lecteur d’aller au-delà du propos de l’auteur.
Bruno Etienne nous invite à faire un pas supplémentaire quand, avec Jean Mourgues, il pense que « l’initiation est du domaine de la grâce. Elle est la découverte d’une expérience de caractère intime, la découverte qu’une voie de salut ou une perspective de développement s’ouvre devant nous. L’évidence soudaine, par une sorte de connaissance immédiate, que cette forme de vie qui se présente tout à coup est à la fois nécessaire et la seule possible. »
Il interroge les ombres et lumières de la Franc-maçonnerie, son éventuel ésotérisme. A la question, nécessaire, La franc-maçonnerie est-elle une société  initiatique ?, il répond en invitant à écarter la mondanité et les intrusions profanes, à réaliser une véritable anamnèse spirituelle, à ne plus confondre l’obédience et l’ordre.
De manière très pertinente, il identifie les variables constitutives d’une société initiatique : « une légende de base justifiant le rite, autrement dit un récit fondateur mythique » ; « un dépouillement physique vestimentaire accompagné d’une réclusion » ; « la présence d’époptie dévoilée pour la contemplation des symboles et des mythodrames, c’est-à-dire le rite fondateur » ; « la présence des éléments » ; « un ou plusieurs voyages unidirectionnels » ; « un rapport chute-élévation » ; « une guidance, c’est-à-dire une utopie, voire une eschatologie » ; une uchronie, c’est-à-dire la description du meilleur des mondes situé dans l’avenir, portant l’idéal de l’humanité » ; « une eurythmie en rapport avec les types de temps et d’espaces séparés, donc sacrés » ; « des épreuves physiques, réelles ou symboliques » ; « enfin liées au passage, la mort et la résurrection ». Certes, il existe des sociétés secrètes qui n’obéissent pas, ou seulement très partiellement, à ce schéma mais les sociétés initiatiques externes ou semi-internes sont construites effectivement avec ses éléments.
Bruno Etienne aborde également avec lucidité des questions plus sociétales comme Une Franc-maçonnerie ravagée par la démagogie profane ou Le renouveau de l’intégrisme laïque.
Ce livre, très riche par de multiples aspects, intéressera non seulement les Francs-maçons mais au-delà tous ceux qui sont concernés par l’initiation et la pensée.
Editions Entrelacs, 19 rue Saint Séverin, 75005 Paris.