mercredi 22 mars 2023

Des Elus Coëns au Rite Ecossais Rectifié. Classes secrètes et Réintégration

Des Elus Coëns au Rite Ecossais Rectifié. Classes secrètes et Réintégration Textes de Rémi Boyer et Lima de Freitas. Préface de Sylvie Boyer-Camax. Editions La Tarente, Mas Irisia, Chemin des Ravau, 13400 Aubagne.

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Les trois contributions qui sont rassemblées ici, les deux premières de Rémi Boyer, la troisième de Lima de Freitas, cherchent à interroger, explorer et traverser les praxis véhiculées par les traditions de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers et du Rite Ecossais Rectifié, deux expressions majeures du courant illuministe désigné par Robert Amadou comme « martinisme », et plus largement de la Tradition occidentale marquée par le sceau du judéo-christianisme.

Le premier de ces trois textes traite d’une mise en œuvre de la théurgie des Réau-Croix voulue par Robert Amadou dans la dernière décennie du deuxième millénaire en réponse à l’état, considéré déficitaire, de la scène initiatique en général dans sa capacité de réconciliation et de réintégration. La réalisation de ce projet a permis d’évaluer au plus près les possibilités offertes par le Culte Primitif proposé par Martines de Pasqually à ses émules.

Le deuxième texte réfléchit sur l’essence du Régime ou Rite Ecossais Rectifié à travers le grade central de Maître Ecossais de Saint-André, écrin pour un concentré exceptionnel de mythèmes à même de répondre aux exigences et aux attentes de la classe secrète des Profès et Grands Profès, dont la fonction réelle ne fut jamais pleinement établie concrètement par Jean-Baptiste Willermoz. Plus de deux siècles après, alors que le Rite Ecossais Rectifié est florissant, dans un monde fort différent de celui qui l’a vu se construire, que les exégèses se multiplient, porter le regard sur ce que ce rite préserve, conserve, offre, sur le plan opératif paraît très nécessaire.

Le troisième texte est de la plume de Lima de Freitas (1927-1998), artiste majeur de la seconde partie du dernier siècle, l’un des grands penseurs du Sébastianisme, et hermétiste de haut vol qui a su se saisir des arcanes pour les réaliser. Le sujet traité, le Feu et le Nombre 515, « la Clef de Dante », n’est pas spécifique au courant illuministe mais imprègne la Tradition occidentale et au-delà. Ce Franc-maçon, Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte au Rite Ecossais Rectifié du Grand Prieuré de Lusitanie, alors sous la direction avisée de José Anes, s’est affirmé comme un maître hermétiste et illuministe de premier plan dont l’enseignement réside pour l’essentiel dans ses peintures, mais aussi dans quelques textes puissants. Le Feu du Ciel est un texte fondamental, rédigé pour la Pentecôte en 1992, qui vient renforcer et étendre la portée initiale, déjà d’une grande puissance, de son ouvrage indispensable 515, le lieu du miroir[1]. Il reprend notamment nombre de points clés identifiés lors de ses échanges épistolaires avec Gilbert Durand. De cette « correspondance imaginale » vont en effet jaillir des révélations aux portées cosmogoniques et alchimiques considérables. Plus encore, Le Feu du Ciel, porte des clés initiatiques nombreuses, universelles, qui font lien entre les enseignements traditionnels que nous avons porté ces vingt dernières années, particulièrement dans le domaine des alchimies internes et des théurgies, que celles-ci empruntent les habits de l’Occident ou ceux de l’Orient.

 


 

Les trois textes nourriciers de cet ouvrage se complètent et s’harmonisent remarquablement. Ils sont donnés comme des pistes de réflexion, de méditation, de maturation à tous ceux qui veulent bien écouter et entendre, s’ouvrir à plus grand et à plus haut sens. Ils ne reflètent probablement qu’un aspect de la Réalité, car qui sommes-nous ici pour prétendre détenir la Vérité ? Mais ils peuvent dire beaucoup à ceux qui se laissent infuser et qui lisent avec leur Cœur. Ils pourront alors leur faire pressentir l’Absolu, la liberté de l’Absolu. Tout est affaire de regard, de prise de conscience, d’attention à ce qui est, de présence.



[1] 515, le lieu de miroir de Lima de Freitas, éd. Albin, Michel, Paris, 1993.

vendredi 17 mars 2023

La Tradition universelle de Constant Chevillon.

La Tradition universelle de Constant Chevillon. Editions Amici Librorum.

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Constant Chevillon (1880-1944) est décédé le 25 mars 1944, assassiné lâchement par la Milice du gouvernement de Vichy. Ce livre fut publié chez Derain, après son décès, en 1946, selon sa volonté.

Dans son avant-propos, Mme J.B. rappelle l’importance de l’enseignement délivré par Constant Chevillon :

« L’enseignement de C. Chevillon s’adressait aux hommes de désir spirituel. Jadis, ses fidèles disciples entendaient sa parole, ils attendaient ses écrits et les recevaient avec ferveur. Pour eux, il dévoilait un peu de la science qu’il possédait : c’est pour eux qu’il composa cette « Tradition universelle », car il voulait leur laisser les éléments de la révélation ésotérique, afin de fixer et compléter son Verbe. »

 


 

Constant Chevillon fut quelque peu oublié par le jeu des sociétés initiatiques dans la seconde partie du siècle dernier, pourtant il n’a cessé d’être étudié dans certains cercles, notamment martinistes. La réédition de ses travaux permet de saisir combien son enseignement s’extrait de son époque pour conduire à l’essentiel. Dans sa préface, il donne un avertissement à propos de la tension entre Tradition et sciences qui résonne particulièrement en ce début de millénaire. Remarquant notre tendance à la croyance au scientisme, il alerte :

« La science pourtant est constituée par une série d’hypothèses, par des doctrines dont les phénomènes, le plus souvent, se rient, car le monde est le champ de bataille de l’être et des êtres, non pas le théâtre des abstractions et, par conséquent, d’un ensemble de fantoches. Le monde c’est la vie qui est toujours concrète, c’est-à-dire synthétisée dans une conscience ou un instinct, dans une durée ou dans une éternité et non pas dans une mathématique quantitative ou d’intensité pure. La vie est une unité qui se disperse en actes et dont aucune algèbre ne peut donner la clef. Au bout des théories, il y a un phénomène ; derrière celui-ci, se cache une essence. »

Tout l’ouvrage oriente vers cette essence, vers l’Esprit. Constant Chevillon se garde de dresser un catalogue des expressions de la Tradition universelle. Il en cherche plutôt les fondements, les principes. Il est question d’entendement et non d’érudition. Cela passe par la réunion des opposés, science et religion, sagesse ou foi et raison…

« L’intériorité, dit Constant Chevillon, est le berceau de la foi ou, plutôt, le lit nuptial dans lequel la raison et la foi entrent en copulation pour engendrer le réel dans les issus profonds de la subjectivité. Dès lors, la contingence est résorbée d’une certaine manière et le moi devient le support inamovible de l’être véritable, quasi nécessaire et immortel. »

Douze chapitres constituent le propos dense et profond de ce livre : La Tradition Universelle – Vrai Visage et Miroir déformant – L’Homme – L’Esprit – La Personne et l’Individu – Métempsycose – Premières Conséquences – Progression – Essai Constructif – Droit et Devoir – Autorité et Pouvoir – Contrastes et Consonances ; Antinomies et Solutions.

La force du propos tient dans la capacité d’analyse et de traversée des contextes culturels, géographiques ou autres de Constant Chevillon afin de les prendre en compte pour mieux s’en dégager et saisir ce qui est essentiel, en soi et en ses conséquences concrètes. C’est « le vrai, le beau et le bien » dont il souhaite nous donner le pressentiment, le goût, en réduisant la distance intérieure qui nous en sépare. Sans craindre de descendre dans l’arène de la dialectique et de l’argumentation dualiste, il vient nous chercher dans le champ des contradictions et des identifications pour nous élever à notre véritable nature.

Cet homme fut davantage qu’un ésotériste. Il fut et reste un véritable penseur et un éveilleur.

Méditations initiatiques de Constant Chevillon

Méditations initiatiques de Constant Chevillon. Editions du Cosmogone, 6 rue Salomon Reinach, 69007 Lyon.

www.cosmogone.com

La réédition de ces textes épuisés de Constant Chevillon (1880-1944) est une belle opportunité de découvrir ou redécouvrir l’une des figures les plus marquantes du martinisme et de la Franc-maçonnerie égyptienne.

Compagnon de route de Papus, il lui succéda et reprit ses principales fonctions au sein des ordres initiatiques conduits par celui-ci, après son décès (Rite de Memphis-Misraïm, Ordre martiniste, Eglise gnostique universelle). Pendant l’occupation nazie, il réussit à maintenir ses activités initiatiques notamment à Lyon jusqu’à son exécution en mars 1944 par la Milice.

 


 

Ce livre reprend l’édition parue chez Derain en 1953. Les textes rassemblés sont d’une grande profondeur et plein de gravité à la croisée de l’ésotérisme chrétien et du catholicisme romain. Les textes sont courts, précis, vont à l’essentiel et demande une mise en œuvre au quotidien.

« Dieu est un acte pur éternellement réalisé. L’homme est un acte en voie de réalisation perpétuelle.

Toute réalisation étant basée sur une volonté, la volonté divine est donc immuable, en face d’une volonté humaine développée progressivement au rythme de l’action. Ainsi, identiques dans leur essence, elles diffèrent dans leurs modalités. La première n’a besoin d’aucun support ; la seconde, de toute évidence, doit être étayée, et la volonté divine, dans son immuabilité, seule peut lui servir de soutien. »

L’amour divin, la charité, la foi, l’humilité, la prière, la douleur, le temps, la mort… sont quelques-uns des thèmes qu’il soumet à notre méditation. Il pose des repères précieux sur les sentiers de l’initiation et en précise la finalité. :

« La sainteté est l’aboutissement nécessaire de l’initiation et de l’illuminisme.

La plupart des hommes font de « sainteté » un synonyme d’ascétisme corporel. C’est une erreur. L’ascétisme spirituel est le plus haut degré de la sainteté ; il implique, avant toute chose, la splendeur de la pensée, sans aucun mépris pour les splendeurs de la matière. Au contraire, il élève et purifie celles-ci, car il voit en elle le reflet de la Splendeur Divine… »

Contant Chevillon appelle à l’engagement, au choix délibéré, à la responsabilité. Il propose une éthique de l’initiation qui ne laisse pas de place au compromis :

« Ainsi, il n’y a point de prédestinés, de créatures privilégiées créées pour la béatitude éternelle à l’exclusion des autres. Il y a pour tous la même chance et le même risque, tout dépend pour chacun de l’usage de sa propre liberté. »

A l’heure du grand morcellement du monde initiatique, ce texte de Constant Chevillon est un remède contre les dilutions multiples dans la mondanité.

« Dieu a donné à l’homme l’intelligence, c’est-à-dire la faculté de comprendre, d’analyser et de synthétiser, mais il ne lui a pas donné la science. Pour parvenir à la science, il faut mettre la volonté au service de l’intellect, il faut conquérir la volonté par un effort personnel. »

Ces « méditations initiatiques » sont autant de joyaux de spiritualité qui frappent par leur simplicité et leur justesse. Elles échappent aux marques du temps par leur pertinence lumineuse.

Quatre études sur J.K. Huysmans et l’Occultisme

Quatre études sur J.K. Huysmans et l’Occultisme de Johanny Bricaud et Gustave Boucher. Editions Amici Librorum.

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C’est une excellente initiative d’avoir rassemblé dans ce volume quatre études, quatre petits ouvrages difficiles à trouver, concernant J.-K. Huysmans, de son vrai nom Charles-Marie-Georges Huysmans (1848-1907), et ce que l’on désigne souvent comme « l’Occultisme de la Belle Epoque ». Les trois premières études sont de Johanny Bricaud (1881-1934), la dernière est de Gustave Boucher (1863-1922).

J.-K. Huysmans est connu pour son livre Là-Bas qu’il a rédigé dans une période de sa vie consacrée à l’occultisme. Son intérêt pour l’occultisme le conduisit du côté de l’abbé Joseph-Antoine Boullan (1824-1893) et ses pratiques magico-sexuelles. Chacun connaît l’épisode célèbre de la guerre menée par Stanislas de Guaita, Oswald Wirth et d’autres occultistes proches de Papus contre l’abbé Boullan. Huysmans, pris dans ce conflit, finit par se convertir au catholicisme. 

 


 

Les quatre ouvrages (plaquettes) rassemblés ici témoignent de ces temps agités, complexes, souvent mythifiés par les générations suivantes :

J.-K. Huysmans et le Satanisme d’après des documents inédits de Johanny Bricaud fut publié chez Chacornac en 1913 ;

Huysmans, occultiste et magicien – Avec une notice sur les Hosties magiques qui servirent à Huysmans pour combattre les envoûtements de Johanny Bricaud fut publié également chez Chacornac en 1913 ;

L’abbé Boullan (Docteur Johannès de Là-Bas) – Sa vie, sa doctrine et ses pratiques magiques de Johanny Bricaud fut publié chez Chacornac en 1927 ;

Une Séance de Spiritisme chez J.-K. Huysmans de Gustave Boucher, publié chez G. Ficker, peut-être en 1908.

Si Johanny Bricaud est une personnalité importante de l’occultisme de l’époque, acteur éminent du mouvement des églises gnostiques et du martinisme, très hostile envers Huysmans,  Gustave Boucher fut, lui, un proche de Huysmans. Ces témoignages engagés sont une source importante de compréhension des représentations, des pratiques, des croyances des occultistes de la charnière entre le XIXe et le XXe siècle, particulièrement féconde du point de vue initiatique. En trois décennies, fleurirent une multitude d’ordres initiatiques, de revues, d’ouvrages, dont l’influence, créatrice ou toxique, perdurent aujourd’hui. Nous retrouvons de nos jours des identifications, clivages, croyances figées… mais aussi des ouvertures visionnaires, des pragmatismes, des réalisations… qui eurent leur source dans ce renouveau traditionnel qu’on ne peut comprendre sans le replacer dans les contextes historiques, sociologiques, artistiques et scientifiques qui le bercèrent.

La réimpression de ces quatre textes est une occasion pour penser un moment marquant de l’histoire des ordres initiatiques, mais aussi des idées, et d’en séparer l’essentiel du conditionnel.