vendredi 26 août 2016

La Charte pour le XXIème siècle des Eglises Gnostiques

A l’occasion, en 2003,  de la célébration du bicentenaire de la disparition de Louis-Claude de Saint-Martin (1743 – 1803), le Centre International de Recherches et d’Etudes Martinistes a publié une Charte pour le XXIème siècle des Ordres Martinistes. Ce document destiné à rappeler les principes propres au courant martiniste et ses œuvres connut une large diffusion. De nombreux ordres martinistes, loges ou cercles, ont su s’approprier ce document comme outil de travail.

A la même époque, le CIREM décida de rédiger un document similaire pour le mouvement des églises gnostiques. Le projet, longtemps mis de côté, fut repris ces derniers mois pour aboutir à une Charte pour le XXIème siècle des Eglises Gnostiques que vous trouverez ci-dessous. La charte est également disponible en anglais, espagnol, portugais, italien.


Charte pour le XXIème siècle
des Églises gnostiques

En hommage à T. Jacques (Robert Amadou[1])

Introduction


Tout au long du siècle passé, l'histoire des Églises gnostiques demeura riche et mouvementée. En marge de l’Ordre martiniste fondé par Papus et tout comme lui, l’Église gnostique se ramifia en de nombreuses branches, cette arborescence fut le fruit du principe même du mouvement gnostique composé de communautés libres.
Les Églises et Cercles gnostiques furent tout au long du siècle passé des creusets qui permirent aux courants illuministes, occultistes et hermétistes de perdurer ou de s'épanouir. La liberté, la tolérance, l'esprit de recherche qui dominèrent, malgré quelques inévitables vicissitudes, ce mouvement sans cesse renouvelé, permirent à de nombreux questeurs de se retrouver, indépendamment de leurs chemins particuliers, dans un véritable compagnonnage.
Le mouvement gnostique des Églises sut aussi accueillir en son sein d'autres courants pour les préserver et les aider à connaître un nouveau développement.
Aujourd'hui, afin que cet état d'esprit demeure, pour que ce qui est vivant ne devienne pas figé, sont inscrits dans cette Charte pour le XXIème siècle des Églises gnostiques, les principes simples qui ont contribué à leur rayonnement.
L'adoption de cette Charte est libre, elle ne confère aucun droit, seulement les devoirs qui découlent de l'éthique. Nul n'aura à en rendre compte, si ce n'est à soi-même et à la Providence.

Source : CIREM. Copie encouragée.


1- Est gnostique, celui qui a reçu le Saint Esprit, ce vent féminin, à la fois souffle et feu.
2- Est chrétien, donc « vivant », celui qui baigne dans le feu de l’Esprit, et en qui oeuvre ce feu. Se laissant travailler par lui, il se dirige vers l’homme total, l’homme achevé, c’est-à-dire l’Homme.
3- La Gnose ou Connaissance est antérieure à l’apparition du christianisme. Elle peut être définie comme « la connaissance de Dieu en moi et de moi, en Dieu », ou « de la transcendance dans l’immanence et de l’immanence dans la transcendance ».

4- La Gnose n’est par nature ni dualiste ni non-dualiste même si les expressions gnostiques temporelles sont nécessairement marquées par un dualisme fonctionnel.

5- L’Église présente un aspect communautaire et un aspect individuel. Elle est la communauté des hommes et des femmes en marche vers leur déification. Elle est simultanément une réalité intérieure, expérience de l’action déifiante de chaque être par l’Esprit Saint.

6- L’Église réelle préexiste en Christ avant toute expression institutionnelle. Qu’il s’agisse des « grandes » églises ou d’organisations plus discrètes, ces manifestations visibles sont des églises de désir, et non des lieux humains qui détiendraient une vérité exclusive. 

7- Les ministères, ordonnés dans l’Esprit Saint, transmis dans la succession apostolique, légitimés par la communauté, assurés par la continuité des œuvres des Apôtres et des disciples, hommes et femmes, représentent l’unique pasteur et prêtre, le Christ. Il n’y a donc ni « nouvelle église », ni « église détentrice de rites secrets ».
8- Si L’Église réelle est invisible, elle fait signe à travers la prière, les sacrements, le baptême, l’Eucharistie et les Ecritures.
9- L’Église se réalise à travers la célébration de l’Eucharistie dans toutes ses dimensions (symbolique, alchimique, métaphysique, théurgique, sacramentelle…)
10- L’Ancien Testament et le Nouveau Testament sont intimement liés en une unité porteuse de sens. La Bible, complétée par des Évangiles apocryphes, doit être lue comme ouvrant un chemin vers le Christ.
11- Au-delà des langues et par les langues, les Écritures s’offrent en quatre sens, littéral (ou historique), allégorique (ou typologique), tropologique (ou éthique) et anagogique (ou mystique), ce dernier, transcendant et infini.
12- Les dogmes sont entendus, tout comme pour les premiers chrétiens, non comme vérités exprimées mais comme véhicules privilégiés des mystères.
13- Marie est « forma dei » (moule actif de Dieu). En méditant le mystère de Marie, le gnostique atteint l’état du métal en fusion et se jette en son sein. Ainsi s’opère la gestation de sa vie nouvelle qui annonce la déification par la grâce.
14- En Christ, Homme complet, pur et simple, tout chrétien est uni à tous les êtres et toutes les formes de vie qu’il reconnaît comme non séparés de lui-même.
15- Les Églises gnostiques constituées sont une expression éphémère, à la fois écho lointain et célébration, de L’Église réelle ou Corps mystique du Christ.
16- Le chrétien se réintègre, et en mieux, durant que s’édifie son corps de gloire par la liturgie, secondée de la théurgie et de l’alchimie, selon le protocole astrologique. Chaque jour de cette vie, son homme intérieur est renouvelé : semé psychique, il se transfigure spirituel, tandis que son âme se corporise. Il touche dès maintenant les arrhes de la vie future. Il transmue de même la matière du monde.[2]
17- Le Christ demeure en ce monde par le sang et l’eau jaillis de son flanc. Caché au monde dans le monde même qu’ils transfigurent, le calice qui les recueillit apparaît aux cœurs purs.



Écu représentant la Crucifixion du Christ
 Vitrail de la salle du Chapitre à Batalha (Portugal)
1514

Dessin Lima de Freitas




[1] Robert Amadou a largement contribué à la réflexion sur les missions des Eglises gnostiques notamment par le texte Qu’est-ce que l’Eglise gnostique ?, établi en collaboration avec T. Antoine et publié en 1996 par le Centre International de Recherches et d’Etudes Martinistes. Ce document a servi de base à la rédaction de la présente Charte, construite sur le même principe collaboratif que la Charte des Ordres Martinistes pour le XXIème siècle, proposée par le CIREM à l’occasion du bicentenaire de la disparition de Louis-Claude de Saint-Martin.
[2] D’après un passage du livret De la Sainte Science de Robert Amadou.

vendredi 19 août 2016

La Stricte Observance Templière

Le baron de Hund et la Stricte Observance Templière d’André Kervalla, La Pierre Philosophale Editions.

La Stricte Observance Templière constitue l’un des vecteurs de la création par Jean-Baptiste Willermoz du Régime Ecossais Rectifié.
Le baron allemand Charles de Hund, à l’origine de la Stricte Observance Templière, dans une période complexe de l’histoire maçonnique et de l’histoire tout court, est une personnalité particulièrement intéressante, très controversée, parfois accusée, à tort, de tous les vices.
André Kervella, auteur de nombreux travaux historiques sur la Franc-maçonnerie cherche à répondre à cette question : pourquoi les membres de la Stricte Observance Templière furent amenés à se prétendre « héritiers des anciens chevaliers du Temple, sous l’autorité de Supérieurs Inconnus ». On sait que Willermoz trancha radicalement, et avec sagesse, cette question en renonçant à cette prétention dans le cadre du Régime Ecossais Rectifié.
Le travail d’André Kervella est important non seulement pour la période considérée, la deuxième partie du 18ème siècle, mais elle le demeure jusqu’à nos jours pour au moins deux raisons. L’idéal templier, indépendamment de la référence à l’Ordre du Temple historique perdure en Franc-maçonnerie. Le fantasme pernicieux de la prétention à une filiation historique avec l’Ordre du Temple n’a jamais cessé de polluer la scène ésotérique européenne et mondiale.



André Kervella note d’emblée que l’incapacité de la littérature maçonnique a distingué entre l’histoire des faits et l’histoire des idées, deux niveaux logiques différents exigeant des méthodologies et des analyses différentes, même si complémentaires, a exacerbé les polémiques quant aux motivations et aux références du baron von Hund.
Le projet du baron est presque concomitant à  l’apparition des grades dits écossais au début du 18ème siècle or cette apparition reste difficile à analyser en raison d’une documentation encore insuffisante et d’un contexte socioculturel et politique mouvementé. La naissance de la Stricte Observance Templière ne peut être séparée de la question stuartiste alors épineuse.
On sait aujourd’hui qui a remis au baron Charles de Hund sa patente et d’où lui venaient ses prétentions templières. André Kervella démontre aussi que qi la question stuartiste ne peut être ignorée, la SOT ne participe pas d’un complot stuartiste. Il met en évidence le rôle obscur et très politique du comte Marischal dans cette aventure. Il cerne la question de l’influence jacobite.
L’un des grands intérêts de l’ouvrage, outre l’apport historique très étayé est de contribuer à la compréhension de la construction du mythe ou à ses glissements et de poser les bonnes questions.
« A l’analyse conclut-il, c’est plutôt la notion de filiation qui suscite des difficultés. Dès qu’une institution est fondée, d’ailleurs sans avoir eu le temps de parachever son discours sur la pseudo-tradition dont elle se réclame, elle peut en créer d’autres et ainsi de suite, selon le système des loges filles qui a connu une belle expansion dans la première moitié du dix-huitième siècle ; elle peut aussi s’exposer à des vicissitudes diverses, avec d’éventuels sommeils, des discontinuités plus ou moins brutales. Quand un réveil ou un redressement se produit, ceux qui le provoquent ont tendance à se dire autorisés. Mais au nom de quoi et de qui ? Surtout, après de longues décennies, puisque l’époque a changé, ils ne sont plus dans l’imitation pure et simple de leurs prédécesseurs allégués. Ont-ils cependant des archives, des documents, qui se lisent comme un testament ? Dans l’affirmative, on les reconnaît effectivement comme des héritiers. Dans la négative, ils attirent le soupçon. D’où l’importance des patentes et autres chartes de constitution. (…)
On en conclut que, de métamorphose en métamorphose, la tradition templière, notamment dans sa composante éthique, peut fort bien avoir des émules aujourd’hui, les qualités chevaleresques étant érigées en paradigme. En revanche mieux vaut laisser aux illusionnistes l’argument de la filiation. Il était jugé capital à l’époque de Hund. C’est pourquoi on faisait grand cas de la liste fournissant sans interruption le nom des grands maîtres supposés avoir dirigé l’Ordre après la mort de Jacques de Molay. Rien ne permet aujourd’hui de lui accorder la moindre valeur. Tout porte à penser que les jacobites n’y croyaient pas non plus, et sans doute le facétieux Marischal dont les excursions dans le romanesque suffisaient à combler les libertés de son imagination. »
Cette nouvelle contribution à l’histoire de la maçonnerie templière clarifie nombre de points historiques mais aussi les enjeux tant sur le plan des communautés maçonniques concernées que sur la possibilité d’un rapport individuel lucide et créatif à la question templière.