mercredi 21 décembre 2022

Peut-on être Franc-maçon et chrétien ?

Peut-on être Franc-maçon et chrétien ?

Patrick Rodner

Editions Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France – http://www.dervy-medicis.fr/

Patrick Rodner aborde avec ce livre une question qui ne cesse de se poser, parfois dans des termes peu cohérents, à la Franc-maçonnerie ou du moins à une part significative de l’Ordre maçonnique quand le rite est marqué fortement du sceau du christianisme.

Il remarque tout d’abord un malentendu fondamental entretenu tant par l’Eglise que par certaines obédiences maçonniques, malentendu qu’il contribue très justement à déconstruire. Les deux se sont employés à nier la matrice chrétienne de la Franc-maçonnerie. C’est avec la venue de la modernité philosophique que les tensions entre deux modèles du monde se sont renforcées après la Révolution française, alimentées par les mouvements de l’histoire : foi contre raison, illuminisme contre philosophie des Lumières, tradition contre modernité, méta-histoire contre histoire chronologique…


 

Patrick Rodner précise l’enjeu de cet essai pour réduire cette opposition nuisible aux uns comme aux autres :

« Il nous faut à présent entrer dans les arcanes de la formation de cette spiritualité que l’Eglise a pu percevoir comme concurrente. Notre programme, dans les pages qui suivront, est non seulement d’apporter la preuve de la compatibilité de l’Eglise catholique romaine, comme de toutes les Eglises chrétiennes, avec l’édification des temples maçonniques, mais plus encore de montrer que le projet de la Franc-maçonnerie de tradition, dans le siècle qui l’a vu naître, est celui d’une revivification de la foi chrétienne, hors des églises, dans ces « laboratoires métaphysiques » que sont la plupart des loges traditionnelles. Etablir des passerelles, comprendre ce qui fait la Franc-maçonnerie une plus-value pour le chrétien et en quoi le christianisme est bien l’horizon de toute la maçonnerie symbolique, telle est donc la réponse que nous allons tenter d’apporter maintenant. »

Il pose tout d’abord cette question, non sans malice : « Un Franc-maçon peut-il ne pas être chrétien ? ». Il rejoint ainsi un Robert Amadou, entre autres, qui affirmait le projet spirituel chrétien de la Franc-maçonnerie en ses commencements. Patrick Rodner cherche les fondements chrétiens dans les rites maçonniques. S’ils sont évidents au Rite Ecossais Rectifié, cela est moins affirmé en d’autres rites. Il étudie ainsi le Rite Français pour mettre en évidence un enseignement chrétien plus ou moins marqué selon les grades.

La deuxième question que pose Patrick Rodner est : « Un chrétien peut-il devenir Franc-maçon ? ». Si la réponse est affirmative, elle ne va pas sans difficultés de mise en œuvre et revient notamment sur les principaux motifs de la condamnation de la Franc-maçonnerie par l’Eglise romaine. Il démontre qu’il n’y a pas incompatibilité entre les deux institutions, entre les deux démarches, mais un éloignement plus ou moins grand selon les rites et les obédiences, éloignement qui ne saurait voiler les concordances nombreuses.

Il termine par une question essentielle : « Peut-on malgré tout être chrétien au-delà des rites et des églises ? » Cette question nous rapproche du processus initiatique lui-même qui exige la traversée des formes et l’affranchissement de toutes les adhérences. Tout en restant dans le cadre du christianisme, Patrick Rodner aborde cette grande traversée :

« Faut-il rappeler pour finir, qu’il ne s’agit pas de réduire toutes les expressions de la foi chrétienne. Elles témoignent en effet de la richesse polysémique de la Parole de Dieu, et les Eglises doivent bien entendu conserver leurs rites comme leurs signatures propres, mais disons que là n’est pas le cœur vivant de Jésus, ou alors l’est-il partout, mais différemment décliné. C’est pourquoi le Christ habite toutes les Eglises, car il les transcende toutes. »

Si l’ouvrage intéressera particulièrement les membres du Rite Ecossais Rectifié, cher à l’auteur, il concerne bien tous les Francs-maçons, à l’heure où la question des condamnations émises par l’Eglise romaine est de nouveau posée au sein des deux institutions en vue d’un apaisement.

Être Chrétien au Régime Ecossais Rectifié

Être Chrétien au Régime Ecossais Rectifié

Alain Le Kern

Editions Arqa – https://editions-arqa.com/

C’est un livre très personnel que nous propose Alain Le Kern, une méditation sur la nature du Régime Ecossais Rectifié et ce qu’il véhicule jusqu’à nous.

L’histoire, les rituels servent ici à s’approcher de l’essence d’un projet « chevaleresque puis sacerdotal ».

Alain Le Kern nous montre en quelques pages comment Jean-Baptiste Willermoz, très habilement, a introduit la doctrine de la Réintégration de Martinès de Pasqually au sein du Régime Ecossais Rectifié, en faisant l’une des deux matrices dont l’exploration est indispensable.

« Il est facile, nous dit-il, d’appréhender la pratique d’une magie opérative sous l’angle du folklore et d’une recherche de pouvoirs mais fondamentalement il s’agit d’établir un lien, d’accéder à une révélation, d’approcher « le Centre », de réaliser une Union originelle à la Source. »

 


 

Alain le Kern envisage l’opérativité de la pratique des Vertus comme chemin vers le Centre, la Source. D’instant en instant, la « Chute » est tout aussi permanente que la Réintégration. C’est la pratique, « lâcher prise », « présence à l’instant », « vision libre » … qui nous orientent vers la Source. Il s’agit d’une attitude, à édifier ou retrouver, ajustée aux exigences de la queste.

« L’enseignement transmis par Martinès de Pasqually, et déployé jusqu’à Jean-Baptiste Willermoz, peut être compris comme une épiphanie. Si l’on se réfère à ce qui nous est parvenu sur les rituels des Réau-Croix comme d’ailleurs de la mise en place du degré des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, nous sommes devant une Théurgie, une magie cérémonielle, un idéal chevaleresque et une voie spiritualiste. »

Très conscient des « maladies de la Franc-maçonnerie », Alain Le Kern alerte sur le danger des systèmes, soumis à l’entropie, et sur le danger personnel, celui des crispations égotiques favorisées par la mondanité de l’époque. Il distingue la fonction initiatique de la fonction thérapeutique, qui doit rester profane et rappelle quelques fondamentaux du monde de l’initiation, trop oubliés de nos jours.

« Vous comprendrez ainsi, dit-il, qu’un homme traditionnel est un homme de Foi. Mais ce n’est pas une Foi suscitée ou illustrée – voire même défendue par des dogmes. C’est l’expression extériorisée d’un élan de notre âme vers le Principe organisateur de tout ce qui est : la jonction de notre âme personnelle avec l’âme du monde. C’est une croyance active sans cesse renouvelée envers la Vie. »

Plutôt que d’étaler son érudition comme tant d’auteurs qui écrivent sur le RER, Alain le Kern a fait le choix, par un questionnement approprié et des vignettes initiatiques choisies, de ne retenir que l’essentiel.