mardi 29 novembre 2022

Regards sur le Maître Philippe de Lyon

Regards sur le Maître Philippe de Lyon de François Trojani. Editions Arqa. https://editions-arqa.com/

François Trojani avait déjà publié un bel article sur le Maître Philippe de Lyon dans la revue de Charles Antoni, L’Originel, n°2 de l’été 1995. Il reprend ce sujet qui lui est cher avec un très beau témoignage sur un personnage aussi fascinant que mystérieux dont l’influence demeure sur le courant martiniste et au-delà.

Philippe Nizier (1849-1905) dit le Maître Philippe est surtout connu comme un guérisseur exceptionnel mais le peu que nous connaissons de sa vie, car malgré les témoignages de ceux qui l’ont approché, il reste un inconnu, laisse penser qu’il fut bien plus, « grand initié » pour les uns, « thaumaturge », « Rose-Croix » pour d’autres… un homme de bien en tous les cas, proches des plus démunis, considéré comme un « saint » par beaucoup, un « éveillé » sans nul doute pour l’auteur.

 


 

 

François Trojani s’efforce de cerner autant que faire se peut la personne et l’influence de Philippe. Il met en garde contre les biais cognitifs, les mémoires tronquées, mais aussi les manipulations ou récupérations malhonnêtes de certains personnages peu scrupuleux qui ont cherché à s’approprier l’héritage. Il appelle à la prudence, la clarté, la prise en compte des contextes, notamment lyonnais et russes, dans lesquels se développaient l’action du Maître.

« Ainsi, nous dit-il, on se rend vite compte lorsque l’on relate, ne fût-ce qu’une journée de sa vie, que l’on dépasse largement les bornes du possible et de l’impossible, et l’on peut aligner ainsi, presque sans fin, des événements incroyables qui cependant tissaient le quotidien de Monsieur Philippe et celui de certains de ses proches. Pour éclairer, rappelons ici cette phrase du Bodhidharma : « Les gens du commun tiennent une vérité conventionnelle pour la vérité ultime ; les sages regardent la vérité ultime comme une vérité conventionnelle ». »

Et encore :

« On se rend bien compte en étudiant la vie de tels êtres – et c’est une des principales choses qu’il convient de retenir ici – qu’il y a « coalescence en eux » de tous les signes et symboles de l’univers, dans une unité absolue, laquelle rougeoie encore au sein des cendres de l’histoire personnelle de chaque homme. »

L’ouvrage bénéficie d’un riche cahier iconographique conçu à partir des archives de l’auteur. En annexe, nous trouvons deux textes de Sédir, Le royaume de Dieu, l’espace et le temps et Les guérisons mystiques, textes issus de l’ouvrage Les guérisons du Christ, publié en 1936.

mercredi 16 novembre 2022

La Doctrine initiatique du Régime Ecossais Rectifié

  

La Doctrine initiatique du Régime Ecossais Rectifié

Jean-Marc Vivenza

Editions Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France – http://www.dervy-medicis.fr/

C’est dans un souci pédagogique que Jean-Marc Vivenza propose aux membres du Régime ou Rite Ecossais Rectifié et, plus largement, à tous ceux qui étudient la doctrine de la Réintégration de Martines de Pasqually, « dix leçons essentielles ».

Dès l’introduction, Jean-Marc Vivenza insiste sur un aspect essentiel du Rite Ecossais Rectifié, qui en fait aussi sa singularité au sein du monde maçonnique : c’est bien dès le grade d’Apprenti que les membres du RER sont concernés par la doctrine préservée dans le rite et non seulement dans l’ordre intérieur comme le croient la plupart des pratiquants de ce rite.

« Cette vision, nous dit-il, assez généralement partagée, explique l’incompréhension que beaucoup éprouvent lorsqu’ils découvrent, souvent tardivement, les fondements de l’enseignement ésotérique du Régime Rectifié, se demandant alors comment ils purent passer à côté de points doctrinaux importants, et surtout si essentiels à l’explication des rituels et des symboles pratiqués dans les loges et chapitres participant des structures willermoziennes, points sans lesquels rien de ce qui se déroule dans les circonférences rectifiées n’a réellement de sens, alors qu’en revanche, lorsque ces points sont éclairés, tout ce qui s’effectue, tout ce qui est mis en œuvre, même les gestes en apparence les plus anodins, reçoit une explication que l’on peut désigner comme étant « évidente ». »

Cette erreur, encore trop courante, est devenue aujourd’hui une faute tant les travaux sérieux, selon plusieurs auteurs et plusieurs regards, se sont multipliés ces dernières années pour prendre en compte la double matrice du rite, martinésienne (dépôt doctrinal de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coêns de l’Univers retravaillé par Jean-Baptiste Willermoz) et templariste (doctrine salomonienne en ses diverses expressions et rapports). Le regard porté par Jean-Marc Vivenza, très origéniste, vient encore renforcer ce mouvement d’approfondissement et d’épanouissement du rite. « Le Régime Ecossais Rectifié est indissociable de la doctrine ésotérique martinésienne » écrit justement Jean-Marc Vivenza, doctrine dont il note « la proximité avec les thèses d’Origène ».

 

 

Voici les dix leçons qui composent l’ouvrage : 1. Origine et source de la doctrine initiatique du Régime Écossais Rectifié – 2. L’émanation des âmes spirituelles avant le commencement des temps – 3. Émancipation et prévarication des esprits émanés – 4. La création du monde matériel imposée au Créateur par « nécessité » – 5. Dieu ordonna aux esprits fidèles de créer le monde matériel afin qu’il soit un lieu d’exil, de séparation et de punition pour les êtres coupables – 6. Émanation et émancipation d’Adam après la prévarication des esprits pervers – 7. Prévarication et transmutation d’Adam en une forme de matière impure et passive qui devint sa prison – 8. Réconciliation d’Adam après sa prévarication, institution de la religion primitive et constitution de la lignée sacerdotale des « élus de l’Éternel » – 9. Caïn et Abel et la division de la tradition en deux branches opposées, rejet par Willermoz de l’évocation rituelle à « Tubalcaïn » remplacé par « Phaleg », le conservateur du culte divin – 10. Noé fixe de nouvelles règles au culte divin, venue attendue en ce monde de matière ténébreuse du « Second Adam », le Divin Réparateur, « vrai-Homme » et « vrai-Dieu », réintégration finale qui verra l’anéantissement du composé matériel et le retour des êtres dans leurs premières propriété, vertu et puissance spirituelle.

Le regard origéniste posé sur la doctrine complexe de Martines de Pasqually permet, entre autres, d’en saisir la nature non-dualiste qui ne saute pas nécessairement aux yeux et à l’esprit. Il s’agit de renouer avec le christianisme primitif et de s’engager dans ce retour à la Source première désigné comme Réintégration par Martines de Pasqually. Les nombreux appendices rassemblés à la fin de l’ouvrage viennent clarifier un certain nombre de points obscurs et permettent de passer outre les difficultés du langage martinésien ou willermozien qui rebutent parfois l’étudiant.

vendredi 4 novembre 2022

Les Sârs de la Rose-Croix

 

Les Sârs de la Rose-Croix de Serge Caillet. Editions La Tarente, Mas Irisia, Chemin des Ravau, 13400 Aubagne.

https://latarente.fr/

 

La première étude publiée par Serge Caillet sur le sujet date des années 1980. Cette nouvelle édition, très largement augmentée, doit être considérée comme un nouveau livre tant les apports nouveaux sont nombreux, ce qui se traduit dans le titre, nous sommes passés des « Sârs de la FUDOSI » aux « Sârs de la Rose-Croix » et d’un sujet restreint à un sujet plus vaste qui est le rosicrucianisme. L’enjeu n’est pas seulement historique mais concerne la nature et la finalité de ces mouvements :

« Il est vrai, nous dit Serge Caillet, que la question des origines historiques, et des filiations qu’elles impliquent ou réfutent, embarrasse souvent, quand elle ne la travestit pas, l’historiographie des sociétés réputées secrètes. Or, si ces questions sont légitimes pour l’historien, elles ne le sont pas moins pour les hommes et les femmes de désir que séduisent ou appellent les voies initiatiques que perpétuent ou incarnent aujourd’hui maintes écoles, sous l’étendard de la Rose-Croix. Raison de plus de les poser sans crainte, avec le double souci, autant que faire se peut, de distinguer la fable de l’histoire, sans nous départir jamais d’une réflexion philosophique ou théosophique qui, par nature, les éclaire l’une et l’autre, parce qu’elle les transcende. »

 


Serge Caillet a conservé avec raison la préface de Robert Amadou à la première édition, non seulement en raison des deux pièces originales, inédites à l’époque, annexées à la préface mais en raison de son orientation. C’est une compréhension de la scène ésotérique européenne et occidentale que permet l’analyse des fonctionnements et dysfonctionnements des deux fédérations d’ordres initiatiques de l’époque, la FUDOSI et la FUDOSFI rivale. Le lecteur ne peut que constater que les finalités initiatiques sont rapidement submergées par les querelles personnelles et les jeux égotiques. Elles n’en demeurent pas moins toujours présentes.

C’est bien de personnes dont il est question avant tout. Serge Caillet nous présente les acteurs principaux des organisations initiatiques qui ont animé peu ou prou cette scène ésotérique si agitée dans les premières décennies du XXème siècle. Les Dantinne, Mallinger, Péladan, Lewis, Papus, Guaita, Sémélas, Dupré et autres conduisirent les destinées de l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix, des Frères d’Orient, de l’Ordre du Lys et de l’Aigle, de la Fraternité des Polaires, de l’AMORC, des ordres pythagoriciens, etc.

 

Serge Caillet débute son enquête avec Louis de Lapasse, « le Rose-Croix malgré lui » et la prétendue Rose-Croix toulousaine, un mythe qui fonde, entre autres, l’AMORC. L’intérêt des recherches présentées dans ces pages est le lien établi avec Palerme et un Prince féru d’hermétisme dont nous ignorons l’identité. Ceci nous rapproche des célèbres écoles d’hermétisme du Sud de l’Italie dont l’influence perdure. Serge Caillet élimine certaines hypothèses et en permet de nouvelles. C’est d’ailleurs le grand mérite de cet ouvrage qui clarifie nombre de points obscurs sans bien entendu répondre à toutes les questions légitimes qui se posent. Ainsi va la recherche historique.

Les portraits des protagonistes dressés par Serge Caillet, les comptes-rendus les plus précis possibles, documentés, rendent particulièrement vivant le milieu occultiste et initiatique de cette époque haute en couleurs. Mais, il convient de ne pas s’arrêter à ces figures, souvent attachantes, ou à l’événementiel pour tenter de saisir les caractéristiques d’un courant, d’une aspiration, d’une volonté également de transcendance et d’accomplissement. Ces « hommes de désir », pris dans la tourmente de leur siècle, et dans la complexité de leurs propres organisations, sont pour la plupart, parfois maladroitement, réellement en quête.

A la fin de son étude, Serge Caillet interroge : « Quel héritage ? Quels héritiers ? ». Il fait le point sur les survivances organisationnelles et conclut : « Dans sa diversité multiforme qui compose aujourd’hui pour partie le paysage arc-en-ciel des sociétés initiatiques modernes, immense est l’héritage des sârs de la Rose-Croix. ».

La lecture de ce livre permet, derrière les histoires personnelles, les alliances et les conflits, de distinguer un mouvement, culturel sans aucun doute, philosophique et théosophique, parfois pleinement initiatique, un désir de sagesse et de réalisation, un processus bien vivant qui sait se renouveler et se nourrir de ses échecs. Il invite tout un chacun désireux de s’engager dans ce mouvement certes protéiforme mais orienté vers une même finalité à ne pas confondre ordre initiatique et voie initiatique, à établir un rapport ajusté avec l’organisation, faite de lucidité et de compréhension de la fonction des mythes, pour se lancer dans la plus belle des aventures qui soit, la conquête de sa propre liberté.

 

Le dossier des « Sârs » n’est pas clôt. Dans les prochaines années et décennies, des archives vont changer de mains et devenir ouvertes. De nouvelles investigations et recherches permettront de mieux connaître ces premiers temps du siècle dernier, devenus mythiques aux yeux de beaucoup, qui conditionnent et justifient largement la scène ésotérique occidentale actuelle et sans doute à venir.



mardi 1 novembre 2022

La Chevalerie maçonnique

 

La Chevalerie maçonnique. Franc-maçonnerie, imaginaire chevaleresque et légende templière au siècle des Lumières par Pierre Mollier. Editions Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.

http://www.dervy-medicis.fr/

Les mythes chevaleresques restent très présents en Franc-maçonnerie et en constituent une ressource spirituelle et éthique majeure. C’est au siècle des Lumières que ces mythes porteurs de l’idéal chevaleresque du Moyen-Âge glissèrent, non sans transformations, au sein de la Franc-maçonnerie. Pierre Mollier, par cette étude, met au jour les origines de la Chevalerie maçonnique. Et c’est tout à fait passionnant.

 


 

 

Une fois n’est pas coutume, nous commencerons par les annexes qui font la moitié de l’ouvrage. Elles sont d’importance : I – Des Compagnons Chevaliers au XVIème siècle ; II – L’histoire des Templiers… telle qu’on la voyait au XVIIIème siècle ; III – les Templiers, l’Ecosse et la Franc-maçonnerie ; IV – Quand André-Michel de Ramsay devint… vraiment chevalier ; V – Un « archéo-Kadosh » en 1750 : L’Ordre Sublime des Chevaliers Elus ; VI – Aux sources du 30° grade du REAA, le rituel de Chevalier Kadosh d’Etienne Morin et du Rite de Perfection ; VII – Les Stuart et la Franc-maçonnerie ; VIII – Les Chevaliers de Malte et la Franc-maçonnerie.

Cet ensemble, pour le moins, intrigue. Les annexes nous indiquent la volonté de l’auteur de chercher ce qui se trouve « avant avant », de questionner ce que Roger Dachez désigne comme « le roman des origines ». Ce dernier en dit d’ailleurs tout l’intérêt :

« La place de la chevalerie dans la pensée maçonnique ne doit certainement pas se concevoir en termes de filiation, d’héritage institutionnel – voire patrimonial, pour les incorrigibles nostalgiques du « trésor des Templiers » ! – mais comme un moyen de rattachement intellectuel et donc bien réel à une tradition culturelle majeure de l’Occident chrétien. »

Le renouveau de l’intérêt pour la chevalerie au XVIIIème siècle est inséparable du renouvellement des idées qui va parcourir ce siècle. L’imaginaire chevaleresque trouve dans ce contexte une opportunité de se transformer. L’ouvrage n’est pas seulement un livre historique, Pierre Mollier s’intéresse aux contenus initiatiques et aux apports possibles à la pratique maçonnique de l’époque. La pérennité de l’imaginaire chevaleresque n’évitera pas, bien sûr, la question templière, qui continue à agiter certains rites. Pierre Mollier cerne la « constitution d’une légende » avant d’étudier « les trois plus anciens exemples de pratique de hauts grades chevaleresques dans la Franc-maçonnerie du XVIIIème siècle » : Chevalier de Saint-André, Chevalier d’Orient, Chevalier Kadosh, apparus respectivement en 1742, 1748, 1749 sans préjuger de leur présence antérieurement. Au XVIIIème siècle, la croyance en un lien tangible entre l’Ordre du Temple et la Franc-maçonnerie est courante.

Les sources de ces trois grades restent un mystère, confie Pierre Mollier. Au contraire, leur postérité et leur influence peuvent être aisément retracées. Toutefois, Pierre Mollier pose une hypothèse très intéressante :

« Dans le domaine des rituels maçonniques, l’ancienneté étant synonyme de simplicité, on peut imaginer que tous trois dérivent d’un archéo-grade chevaleresque qui n’aurait consisté qu’en un adoubement assorti d’un commentaire symbolique assez élémentaire… Le corpus légendaire aurait été développé par la suite sur ce noyau primitif, ce qui expliquerait des variantes. L’analyse des plus anciens rituels de Chevalier de l’Orient appuie cette hypothèse, la cérémonie comprenant deux parties bien distinctes : un adoubement après lequel prend place une longue lecture où l’on présente la légende du grade. Le peu que l’on peut supposer quant au rituel de Chevalier de Saint-André laisse entrevoir quelque chose de similaire. »

L’étude permet d’envisager une création beaucoup plus précoce des hauts-grades que celle admise généralement. L’ancienneté de l’idéal chevaleresque au sein de la Franc-maçonnerie est suffisamment étayée pour reconsidérer les processus à l’œuvre dès les premiers temps de la Franc-maçonnerie. Beaucoup de questions demeurent ouvertes mais les réponses déjà apportées par Pierre Mollier éclairent de nombreux points obscurs.