mercredi 22 novembre 2023

Bulletin de la Société Martines de Pasqually n° 33

Bulletin de la Société Martines de Pasqually n° 33-2023

https://stesmdp.blogspot.com/

Sommaire : Ad honorem Xavier Cuvelier-Roy par Jean-François Var – La prière des six heures des Elus Cohen par Jean-Louis Boutin – Dictionnaire de Martines de Pasqually : Noms propres (Première partie) par Serge Caillet – Pierre Fournié et les « Maçons du Régime » de Fadi Caledit – Catéchisme des élus cohen selon le chevalier Molinié (suite et fin) par Georges Courts –  Présentation du corpus élu cohen - 9 par Thierry Lamy – Où il est question de Martines de Pasqually et d’élus coëns par Michelle Nahon – Martines de Pasqually et la méthode janséniste d’interprétation de l’Ecriture Sainte au XVIIIe siècle, dite « Théorie des types » ou « Figurisme » par Jean-Marc Vivenza.

Ce sommaire très riche permet notamment de faire le point sur cette pratique essentielle des Elus coëns qu’est la prière des six heures, pratique contraignante qui tend vers l’ascèse. Serge Caillet s’engage dans un travail considérable avec son Dictionnaire de Martines de Pasqually qui prend en compte l’ensemble de la matière coën. Le recours au dictionnaire pour des corpus si complexes est absolument nécessaire et permet à l’étudiant de ne pas s’égarer dans des interprétations erronées. Par ailleurs, il favorise l’indispensable travail de croisement et juxtaposition de toutes les sources coëns pour rétablir l’architecture de l’ensemble. Fadi Caledit nous entraîne aux côtés de Pierre Fournié, personnage complexe, plein de contradictions mais qui, nous dit Fadi Caledit, « apporte quelques compléments exégétiques nécessaires » à l’œuvre de Martines de Pasqually même s’il l’a quelque peu catholicisée. Georges Courts poursuit et achève son travail d’étude du Catéchisme des Elus Cohen selon le chevalier Molinié – Thierry Lamy poursuit la présentation de l’immense corpus des Elus coëns, l’un des corpus les plus denses de la tradition occidentale mais très dispersé. Le travail de Thierry Lamy permet de retrouver la cohérence de cet ensemble. Avec Michelle Nahon, nous découvrons le roman de John Charpentier (1880-1949), Le maître du secret – Un complot maçonnique sous Louis XVI dans lequel le lecteur croise Martines de Pasqually et ses émules. Enfin, Jean-Marc Vivenza, avec un article sur le figurisme et la doctrine de Martines de Pasqually se met dans les pas des recherches approfondies de Gérard Gendet dans le cadre de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes qui nous a fait découvrir, depuis quelques années, cette influence peu connue. Nous renvoyons le lecteur intéressé à son monumental ouvrage : Du figurisme à l’illuminisme par Gérard Gendet paru récemment aux Editions La Tarente (voir ci-dessous).

jeudi 2 novembre 2023

Du figurisme à l’illuminisme

Du figurisme à l’illuminisme de Gérard Gendet. Editions La Tarente, Mas Irisia, Chemin des Ravau, 13400 Aubagne.

https://latarente.fr/

Gérard Gendet nous offre un essai très complet sur un aspect peu connu de la doctrine de la réintégration des êtres de Martinès de Pasqually, fondateur de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers.

Ce travail est le fruit des longues recherches conduites par Gérard Gendet sous la direction de Jean-Pierre Brach dans le cadre de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. C’est donc un travail universitaire très abouti.

Le fameux Traité de la Réintégration des êtres dans leurs premières propriétés, vertus et puissances spirituelles divines, c’est le titre complet, fut à l’origine l’instruction destinée aux Réau-Croix, dernier grade du système sacerdotal de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers. Ce traité complexe prend tout son sens par la pratique des grandes opérations théurgiques de réintégration conduites par lesdits Réau-Croix.

Le personnage de Martinès de Pasqually demeure une énigme, malgré les nombreuses recherches historiques à son sujet. Pour une part, il en est de même pour sa doctrine même si Robert Amadou et Serge Caillet, notamment, l’ont grandement éclairée par leurs travaux. Un grand intérêt de ce livre est de faire le point sur les recherches et les publications au sujet de cette « aventure » traditionnelle et initiatique qui échappe aux catégorisations, de questionner et d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion.



Après avoir détaillé le contexte historique dans lequel Martinès de Pasqually est conduit à faire cette proposition théurgique audacieuse qu’est le système Coën, Gérard Gendet tente de cerner la genèse et la matière, ou les matières, du Traité avant d’en venir au cœur de son sujet, le figurisme, et son influence possible sur la doctrine de Martinès de Pasqually. Le figurisme est un produit de l’affaiblissement du sens allégorique et des querelles violentes nées entre autres du jansénisme, un courant qui renaît de ses cendres au début du XVIIIe siècle pour bousculer l’interprétation des Ecritures.

« Une partie d’entre eux, sous l’appellation de « figurisme », va pousser la notion d’exégèse allégorique dans ses derniers retranchements en « consacrant l’association entre allégorisme et délire interprétatif ». » précise Gérard Gendet.

« Au sens large, poursuit-il, le figurisme est une forme d’exégèse qui regarde l’Ancien Testament comme la figure du Nouveau. Certains passages du Nouveau Testament vont dans ce sens. De tout temps, il y a eu des interprètes pour accepter le sens figuré, selon lequel l’ancienne Loi serait entièrement figurative (l’omnia in figura paulinien). »

Ce mouvement aurait pu rester confidentiel. Tout au contraire, il exerça une influence certaine et généra querelles, crises et condamnations, jusqu’à impacter, par réaction contre l’exégèse allégorique, la pensée des Lumières.

Gérard Gendet applique le système des figures au Traité, dans le détail, tout en prenant en compte d’autres influences possibles, maçonniques, chevaleresques, hermétistes, kabbalistiques, etc. Il reste prudent dans ses propositions, conscient des difficultés à saisir le cheminement, au carrefour de multiples dépôts traditionnels, de la pensée de Martinès de Pasqually. Ce faisant, il n’oublie pas d’examiner les sujets plus attendus du symbolisme, de la magie cérémonielle ou de l’initiation, dans le cadre du Traité. Il observe également la réception de cette complexité par Louis-Claude de Saint-Martin et Jean-Baptiste Willermoz dans le champ d’une « théologie chrétienne à caractère théosophique » qui se voudra cohérente. Il évalue également l’influence du Traité sur la notion de Bienfaisance, chère au Régime Ecossais Rectifié de Jean-Baptiste Willermoz et sur l’idée de christianisme transcendant portée par Joseph de Maistre.

L’ouvrage, très étayé, agréable à lire, malgré la difficulté du sujet, grâce à une écriture fluide et vivante, permet d’interroger l’herméneutique théosophique si singulière des Elus Coëns de Martinès de Pasqually pour en approcher certaines subtilités. Ce faisant, il met en perspective les fondements du Régime Ecossais Rectifié voulu par Jean-Baptiste Willermoz comme les grands axes de la théosophie de Louis-Claude de Saint-Martin.

mardi 4 juillet 2023

Martinésisme, Willermozisme, Martinisme et Franc-maçonnerie

Martinésisme, Willermozisme, Martinisme et Franc-maçonnerie de Papus. Editions Amici Librorum.

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L’édition, en 1899, par Chamuel Editeur du livre de Papus, publiée ici en fac-similé par Amici Librorum, ne passa pas inaperçu dans le microcosme de l’occultisme de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Pour la première fois, un auteur tentait de décrire les caractéristiques du « mouvement illuministe » en France. Papus écrit d’abord pour les membres de l’Ordre Martiniste et des ordres ou associations qui lui sont associés, il répond aussi aux critiques parfois violentes contre son mouvement.

Il commence par distinguer et même opposer « la société d’illuminés », « liée à l’invisible par un ou plusieurs de ses chefs » et « la société des francs-maçons » qui « n’est en rien liée avec l’invisible ». Même si la réalité de la scène ésotérique est sans doute plus complexe, même à l’époque de Papus, cette distinction opère et reste valable en certaines de ses observations.


 

A propos de la Franc-maçonnerie, Papus affirme : « Son Principe d’existence et de durée prend sa source dans ses membres et rien que dans ses membres ; tout son gouvernement se fait de bas en haut avec sélections successives par élection. »

Il poursuit :

« Il suit de là que cette dernière forme de fraternité ne peut produire pour fortifier son existence que les chartes et les papiers administratifs communs à toute société profane : tandis que les ordres d’illuminés se réfèrent toujours au Principe invisible qui les dirige. »

Afin d’introduire le lecteur à l’illuminisme, Papus présente succinctement trois personnages et leurs œuvres : Swendeborg, Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz. Puis, il développe plus longuement la pensée de Louis-Claude de Saint-Martin telle qu’il l’appréhendait.

La partie la plus importante de l’ouvrage porte néanmoins sur le Martinisme contemporain et sur sa place sur la scène ésotérique ce qui conduit Papus a accordé de nombreuses pages à la Franc-maçonnerie. Il affirme maintes fois la volonté d’indépendance du Martinisme et sa spécificité initiatique.

Nous pouvons lire dans les propos de Papus ce qui fonde la situation actuelle du courant martiniste au sens le plus large du qualificatif : sa vitalité, son rayonnement, sa complexité, la multiplication des formes, les interpénétrations favorables ou défavorables avec d’autres courants, notamment maçonniques. Le discours de Papus ne manque ni de panache ni de romantisme, ce serait une erreur de le considérer de façon un peu condescendante car il distille des valeurs fondamentales et quelques principes qu’il convient de ne pas oublier.

dimanche 2 juillet 2023

F.-Ch. Barlet. Fragments d’une histoire secrète

F.-Ch. Barlet. Fragments d’une histoire secrète par Gilles Bucherie. Editions Alcor, 1 rue de Ramatuelle, 13007 Marseille.

https://www.alcor-editions.fr/

L’Ordre Martiniste, actuellement sous la grande-maîtrise avisée d’André Gautier, détient un ensemble d’enseignements manuscrits rédigés par F.-Ch. Barlet, de son vrai nom Albert Faucheux (1838-1921), compagnon de route de Papus. Cet enseignement, qui témoigne d’une maîtrise de ce que l’on désignait à son époque par sciences occultes, mérite une édition intégrale que nous appelons de nos vœux.

L’Ordre Martiniste a confié à Gilles Bucherie, déjà bon connaisseur de ce personnage énigmatique et complexe, la tâche, sans doute immense, de mettre en valeur ce que l’on désigne désormais par « Fonds Barlet ». Ce livre est une première introduction à une œuvre d’importance. 

 


 

« Ce fonds, nous dit Gilles Bucherie, comporte de nombreux documents dont les contenus permettent, non seulement, une meilleure analyse de l’importance de l’œuvre de F.-Ch. Barlet, mais aussi du Mouvement occultiste et de ses prolongements dans ce qu’ils ont parfois de déterminant quant à un renouveau de l’hermétisme. »

Charles Barlet s’intéressa au spiritisme, fut proche de la Société Théosophique et membre de l’Hermetic Brotherood of Luxor, H.B. of L., organisation qui eut un rayonnement certain dans le monde initiatique, étant elle-même à la croisée de plusieurs influences.

Gilles Bucherie cherche à inscrire l’œuvre de Barlet dans les contextes historique, culturel et initiatique de l’époque. La pensée originale de Barlet se développe dans le temps spiralaire de l’aïon selon une méthode qui reste à expliciter. A son époque, plusieurs auteurs traditionnels proposent des typologies des cycles, cependant le modèle de Barlet reste singulier, sans doute hérité pour ce qui est du matériau de base de l’H.B. of L. mais aussi des travaux de Saint Yves d’Alveydre auquel Barlet consacra un livre publié chez Durville en 1910.

Par ses multiples dessins et figures, Barlet ouvre une approche visuelle d’un modèle cosmologique ; dans un deuxième temps, il nous conduit à celle d’une compréhension visionnaire de l’humanité future. Une humanité non plus collective, composée d’hommes individuels, mais une humanité synthétisée par les nombres. Il y a un sens ontologique des nombres. Barlet fait allusion à plusieurs reprises, de manière discrète, à une méthode d’astrologie onomantique fondée sur les nombres, correspondant, non seulement aux cycles de la vie universelle, mais aussi aux cycles de la vie individuelle et opérant par affinités avec les formes et fonctions constitutives de la société. »

Nous comprenons aisément dès lors pourquoi ces travaux intéressaient, et intéressent encore, les membres de l’Ordre Martiniste et des organisations initiatiques qui lui étaient affiliées ou simplement proches.

Ce premier livre introductif suscite chez le lecteur le désir d’en connaître davantage et d’étudier le corpus annoncé qui synthétise plusieurs approches traditionnelles portées par les principaux courants initiatiques de l’époque, certains connus, d’autres encore à identifier. De nombreux documents en fac-similé soutiennent le propos de Gilles Bucherie qui bénéficie, dans cette belle édition, du savoir-faire des Editions Alcor.

dimanche 11 juin 2023

Martinès de Pasqually, sa vie, ses pratiques magiques, son œuvre, ses disciples

 

Martinès de Pasqually, sa vie, ses pratiques magiques, son œuvre, ses disciples, suivi des Catéchismes des Elus Coëns de Papus. Editions Amici Librorum.

https://www.facebook.com/amici.librorum/?locale=fr_FR

Suite à sa rencontre avec Henri Delaage (1825-1882) puis, un an plus tard avec Augustin Chaboseau (1868-1946), Papus se retrouve dépositaire d’une transmission initiatique qu’il développe rapidement à travers des groupes martinistes et la revue l’Initiation. Très vite, il s’intéresse aux archives de Jean-Baptiste Willermoz, alors mises en vente. Il tirera trois ouvrages sur l’histoire de l’illuminisme en France au XVIIIe siècle dont celui-ci qui est la première biographie sur Martinès de Pasqually.


 

Cette biographie sera bien sûr critiquée par la suite, jugée insuffisante, partiale, etc. par les donneurs de leçons en tout genre. Il convient toutefois de se replacer dans le contexte d’une découverte et de la nécessité d’étayer rapidement une démarche initiatique nouvelle ou renouvelée. Papus met à disposition ce qu’il a découvert. Simplement.

Dans une première partie du livre, Papus présente ainsi la vie de Martinès de Pasqually à partir de son arrivée à Bordeaux en 1767. Dans la deuxième partie, il s’intéresse à certaines pratiques magiques ou théurgiques des Elus Coëns, parfois avec distance. Il puise dans son érudition pour faire des liens, quelques-uns hasardeux, mais toujours destinés à faire penser. Il cherche à présenter, pour la première fois, la complexe, parfois confuse, doctrine de la Réintégration.

Mais, Papus analyse aussi l’œuvre de Martinès de Pasqually dans le contexte du mouvement général et de la fonction des sociétés secrètes initiatiques. Il voit l’action de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers comme une tentative de restauration des principes fondamentaux de l’initiation et, d’une manière générale, saisit plutôt bien les enjeux des opérations coëns qu’il découvre à travers ces archives.

Pour une excellente présentation du contexte de la naissance de cet ouvrage, nous renvoyons le lecteur intéressé à l’étude de Michelle Nahon, Papus premier biographe de Martinès de Pasqually, présentée en 2016 lors du « Colloque organisé par l’Ordre Martiniste à l’occasion du centième anniversaire de la mort du Dr Gérard Encausse, dit Papus » et publiée dans les Actes du colloque Papus aux Editions de La Tarente.

L’ouvrage se termine par la publication des Catéchismes des Elus Coëns, alors inédits.

Il faut saluer le travail de Papus qui inaugure un long mouvement de recherches sur l’ordre et l’œuvre voulus par Martinès de Pasqually, recherches toujours en cours, toujours interrogées, entre la critique historique et la réalité de la pratique théurgique.