Marie-Madeleine
à la Sainte-Baume de Jean-Yves Leloup, Les éditions du Relié.
Jean-Yves Leloup vécut longuement à la
Sainte-Baume quand il était directeur du monastère dominicain. Pendant dix
années, Il fut à même de s’imprégner des lieux, de cette forêt inattendue dans
le paysage du sud-est de la France comme de la grotte où Marie-Madeleine se
retira pendant trois décennies. Devenu un haut lieu de la spiritualité,
notamment pour les Compagnons, qui vénèrent Marie-Madeleine, la Sainte-Baume,
temple naturel, demeure à la fois inaccessible et profondément intime avec
chacun.
Le texte de Jean-Yves Leloup, superbe de
poésie et de profondeur, se révèle profondément non-dualiste et touche au cœur même
de la métaphysique chrétienne en même temps qu’il exprime la claire lumière de
l’éveil.
« Ce qui est, c’est la chose, sa
représentation et sa non représentation ; c’est le Réel et les réalités
qui le manifestent et ne le manifestent pas entièrement. De nouveau elle
acceptait « tout » : la chose, son regard sur la chose, le
regard des autres, plantes, bêtes et hommes sur la chose, le regard de Yeshoua,
le regard de Je Suis, de l’Être au cœur des choses.
De même qu’à certains moments, sa respiration
rejoignait le Souffle infini (l’infini d’où vient l’inspir – l’infini où va l’expir),
sa vision participait à la conscience infinie dans laquelle apparaissent et
disparaissent les mille et une choses.
De même qu’elle « assistait » à l’intérieur
d’elle-même à l’apparition et à la disparition de ses pensées dans le clair
silence, de même elle « assistait » à l’extérieur à l’apparition et à
la disparition des univers dans le clair silence. Le clair silence, elle le
ressentait dans des instants de plus en plus longs comme sa véritable demeure. »
Jean-Yves Leloup met en évidence cet art, que
nous retrouvons dans la prière du cœur, qui consiste à faire en Son Nom, au nom
de l’Enseigneur, c’est-à-dire non pas selon une quelconque délégation mais bien
à l’intérieur de Son Nom, au cœur de Son Nom :
« Qu’est-ce qui règne sur moi ? pensait-elle.
Quel est véritablement le Maître de mon désir ? et aussitôt elle se
joignait à la prière de « Yeshoua » - Je Suis » présent en elle :
« Que ton Règne vienne », c’est-à-dire que Ton Esprit, Ton Souffle de
liberté m’anime, que je ne sois l’esclave ni de moi-même (de mes pensées, de mon
passé) ni de personne. Que je n’obéisse qu’à l’Amour, que ce soit la volonté de
la Vie qui se fasse, qui se réalise en moi…
Et de nouveau, elle invoquait le Nom, elle « s’ajustait »
à la Présence de « Je Suis » en elle, afin qu’il établisse son règne
dans toutes les dimensions de son être : charnelles, affectives, mentales
et spirituelles. Elle cherchait d’abord cela, qui est partout et toujours
présent ; en Sa Présence, dans Sa lumière et Son Amour, tout lui était
donné par surcroît. »
Cette femme, qui a manifesté et perçu la
dimension féminine du divin, sans doute même avant d’oser la penser, a réalisé
la voie, qui est toujours une simplification, par la dépossession, le
dénuement, la pauvreté, laissant émerger la « femme sauvage », libre
des conditionnements, par un rappel permanent au Soi, à sa Présence :
« Elle comprenait maintenant. « Je
Suis » est le pain de vie : si elle se tenait en Sa Présence, comme
Lui se tenait en Présence de la Conscience infinie qu’il appelait Son Père,
elle serait nourrie « corps, âme, esprit ». C’est ainsi qu’elle
commença à invoquer Son Nom, « Yeshoua », sur le rythme même de son
souffle… Les effets ne se firent pas attendre – Yeshoua, « Je Suis »
demeurait vraiment en elle, calmait toutes ses faims, toutes ses inquiétudes.
Elle affrontait chaque épreuve en Sa
Présence, une épreuve à la fois, une souffrance à la fois, un plaisir à la fois…
sans se soucier de ce qui allait venir. Ce qui allait venir était encore du présent,
une occasion d’être avec « Je Suis », en Sa présence…
Demain n’existe pas, n’a jamais existé, comme
hier n’existe pas, n’a jamais existé. Il n’y a jamais eu qu’aujourd’hui ;
hier, lorsque je l’ai connu, était comme « aujourd’hui » ;
demain, je ne pourrai le connaître que comme « aujourd’hui ». On ne
peut aimer qu’au présent. Dire : j’ai aimé, c’est ne plus aimer ;
dire j’aimerai, ce n’est plus aimer encore. »
Si Marie-Madeleine expérimenta toutes les
dimensions de l’amour, dans les larmes et dans la jouissance, par le corps
comme par l’esprit, elle réussit à traverser l’apparaître pour s’établir en un
amour sans objet, un amour absolument libre.
Les éditions
du Relié, 27 rue des Grands Augustins, 75006 Paris.