Louis-Claude
de Saint-Martin et les Anges de Jean-Marc Vivenza, Editions Arma Artis.
Nous émettrons un avis partagé sur ce
travail. D’une part, il offre un exposé utile et nécessaire de l’angéologie
saint-martinienne qui diffère notablement des angéologies classiques. D’autre
part, il insiste avec justesse sur la traversée des formes dualistes pour
atteindre la conscience non-duelle originelle avec une très bonne intuition
quand il fait référence aux « deux néants » de Maître Eckhart.
Jean-Marc Vivenza pressent l’enseignement de Saint-Martin comme une possible
voie directe, ce que nous avons-nous-mêmes établi à plusieurs reprises et en
différents cadres.
Mais, il ouvre malheureusement avec ce livre
une polémique aussi stérile que regrettable. En effet, il reprend un propos
hostile à la théurgie de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers
et, plus largement, hostile à la pratique théurgique en général qu’il avait
développé sur son site. http://www.societedesindependants.org/
Son argumentation, souvent brillante (nous
avons déjà énoncé ici toutes les qualités de l’auteur), puise dans la théologie
et se révèle dogmatique dans son expression or nous savons combien la théologie
sait se transformer par le dogme en un étouffoir de la Gnose.
Nous opposerons à ce trait regrettable et radical,
un autre texte, de Robert Amadou cette fois, qui vient heureusement d’être
publié par Renaissance Traditionnelle
dans sa dernière livraison (n°165-166). « Opérons-donc ! », c’est le
titre du texte en question, fut confié par Robert Amadou, entre autres
instructions, à trois instances coëns à qui il demanda, avec force, de
reprendre les opérations des Elus Coëns dans les années 1990 car, disait-il, « Il y a urgence. ». Ce texte fait encore partie aujourd’hui du Livret d’Accueil des Elus Coëns de la
Loge-Mère Marie de Gonzague de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de
l’Univers[1]. Il est d’autant
plus regrettable que Jean-Marc Vivenza cite à plusieurs reprises Robert Amadou
pour appuyer sa thèse, alors même que celui-ci appela avec insistance, avec la
prudence qui s’impose, à la pratique théurgique que cela soit celle de l’Anacrise[2], elle aussi suspectée
par Jean-Marc Vivenza, ou celle structurée par Martines de Pasqually[3].
Si Louis-Claude de Saint-Martin a abandonné
la théurgie coën, ce n’est qu’après avoir réalisé avec succès la totalité des
opérations, opérations certes fort complexes, ce qui aura notamment contribué à
son passage opératif « à l’interne ». On ne peut abandonner que ce
que l’on détient et maîtrise, sinon ce n’est que renoncement. D’une manière
semblable, ce serait une erreur de penser que la mystique d’un Jacob Boehme ne
prend pas appui sur un travail opératif en laboratoire. Certains textes du
second maître de Louis-Claude de Saint-Martin constituent des guides parfaits
pour l’alchimie en laboratoire. Si nombreux sont ceux qui confondent les moyens
habiles ou « plus qu’habiles » avec la finalité de la queste,
Jean-Marc Vivenza tend à confondre la finalité et le moyen en faisant de
l’ultime dénuement d’un Saint-Martin, la seule pratique véritable. C’est
oublier qu’en Occident comme en Orient, très rares sont ceux qui tombent dans
le Grand Réel sans cheminer de manière serpentine. L’argument principal de Jean-Marc
Vivenza relève du dogme. Depuis la venue du divin réparateur, les aspects
formels seraient en quelque sorte caducs. Il y a là une vision linéaire,
temporelle et historique de ce qui traite des états de la conscience jusqu’au « retour »
à la conscience originelle. De même, il reste dans une vision courante, assez
maçonnique en fait, mais erronée, de la théurgie qui chercherait à
« obtenir » alors qu’il s’agit, et c’est particulièrement vrai pour
le Culte primitif des Elus Coëns, d’une célébration de ce qui est. Plus encore,
il convient de rappeler que c’est moins ce que l’on pratique que la manière
dont on le pratique qui se révèle déterminant. Il n’y a pas des objets
initiatiques et des objets non initiatiques. Tout un chacun peut, hic et nunc,
établir un rapport initiatique (c’est-à-dire non-duel) avec tout objet ou toute
pratique.
Seuls ceux qui ont conduit à leur terme, non
pas une mais plusieurs fois, la totalité des opérations du sacerdoce coën,
restent habilités, avec une nécessaire réserve, à accompagner et commenter
cette haute théurgie que Jean-Marc Vivenza voudrait réduire finalement à une
magie un peu plus qu’ordinaire. Dans cette condamnation, c’est d’ailleurs tout
l’hermétisme européen qu’il rejette. Il reconnaît toutefois du bout des lèvres,
ou de la plume, la fonction essentielle de l’intention. C’est en effet,
l’intention (le Soi), mais aussi l’Orient (le Soi encore), qui détermine
l’axialité d’une pratique.
Ce serait toutefois une erreur de rejeter le
travail de Jean-Marc Vivenza dans sa totalité, particulièrement quand il traite
des conditions de l’initiation. En insistant sur les préalables à toute
théurgie il fait un nécessaire rappel. Nous serons probablement d’accord avec
lui pour énoncer que le silence est à la fois l’indispensable condition pour
opérer et le lieu-même de l’opération qu’elle soit externe, interne ou ultime.
De même, il convient effectivement de ne pas s’attarder sur le phénoménal pour
tendre vers l’essence mais le phénoménal est une langue à découvrir, à nous de
savoir lire. Et oui, il faut s’affranchir des noms pour atteindre au sans-nom.
Nous invitons ceux qui se sentent concernés
par la théurgie coën à une lecture comparée du texte de Jean-Marc Vivenza (pour
ses qualités informatives et en écartant les crispations théologiques) et de
celui de Robert Amadou (pour son ouverture théurgique avertie), ce sera un
excellent exercice pour déterminer s’ils sont prêts à s’engager dans un chemin long
et difficile. En effet, il existe d’autres chemins…
« Opérons donc ! »
Renaissance Traditionnelle n°165-166, Actes du Colloque du Tricentenaire de Martines de Pasqually.
Sommaire : Martinès de Pasqually, éléments biographiques par Michelle
Nahon - Martinès dans la quête
maçonnique du XVIII° siècle : le cas des Philalètes -Découvertes et hypothèses à propos de nouvelles copies par Alain
Marchiset et Pierre Mollier - Martinès
à l'oeuvre dans la chose : l'Ordre des Elus coëns par Serge Caillet - Louis-Claude de Saint-Martin à l'école de
Martinès de Pasqually ; Jean-Baptiste Willermoz à l'école de Martinès
de Pasqually : genèse du Régime Ecossais Rectifié par Jean-Marc Vivenza - Sacerdoce du Christ : sacerdoce primitif selon Martinès de Pasqually
et sacerdoce des baptisés, par Jean-François Var - Don Martinès de Pasqually, le Rapport Zambault
(1766) par Robert Amadou -Opérons-donc
! par Robert Amadou.
Renaissance
Traditionnelle, B.P. 161, 92113 Clichy cedex, France.
[1] Pour en
savoir davantage sur cette « seconde restauration coën »,
reportez-vous à la préface de Rémi Boyer au livre Le Grand Manuscrit d’Alger, tome 1 de Georges Courts, publié chez
Arqa.
[2] La
pratique de l’Anacrise fut proposée
avec succès dans certains ordres martinistes, en France, en Italie, au Portugal
et en Grande-Bretagne notamment au cours des deux dernières décennies.
[3] Les
archives du CIREM conservent plusieurs centaines de lettres de Robert Amadou
dont environ deux cents concernent la théurgie coën et l’organisation d’un
groupe compétent pour la pratique du culte primitif.