Le Rite Egyptien au Grand
Orient de France, une voie spirituelle de Christian Perrotin, Editions Dervy.
Que faut-il penser d’un ouvrage préfacé par
Alain Bauer, un éminent « monsieur Sécurité » de Nicolas Sarkozy, par
ailleurs Franc-maçon actif, et postfacé par l’un des hermétistes les plus
rigoureux et les plus intéressants d’Europe, François Trojani. Ce grand écart,
dans lequel s’insère le travail de Christian Perrotin, indique très exactement
la problématique posée par le récent intérêt du Grand-Orient de France pour les
rites maçonniques égyptiens.
Le livre d’abord : Christian Perrotin
offre un travail synthétique de qualité, désireux de donner une cohérence, et
c’est louable, à la démarche.
Le sommaire insiste sur les éléments historiques
et introduit aux sujets de fond : La relation de l'homme à la nature, à
l'univers, à la divinité - 1862, le Grand Orient de France accueille le
Rite Ancien et Primitif (Contexte historique / Contexte maçonnique / Les débuts
du Rite Égyptien / Le Rite de Memphis / Le Rite de Memphis intègre le Grand
Orient de France / Transmission du Rite de Memphis en 33 degrés aux États-Unis,
à l'Angleterre, à l'Irlande / Le Rite de Misraïm intègre le Grand Orient de France
/ La réunion des rites de Memphis et Misraïm) - Histoire récente du Rite
au sein du Grand Orient de France (Les raisons du réveil du Rite Égyptien au
Grand Orient de France / Les modalités de réveil du rite / Les étapes réalisées) -
Spiritualité et hermétisme au Grand Ordre Égyptien du Grand Orient de France (Démarche
initiatique et démarche sociétale s'opposent-elles? / Les outils du franc-maçon
/ L'Égypte ancienne / La Grèce antique / La Renaissance / L'astrologie / La
kabbale / L'alchimie - Relations avec les autres rites…
Le point historique essentiel, très détaillé
dans ses pages, reste le réveil des rites égyptiens au sein du Grand-Orient de
France à partir d’une filiation américaine du Rite de Memphis en 33 degrés
venue de Harry J. Seymour en 1862, rite que John Yarker devait plus tard remodeler.
L’ouvrage rend compte dans le détail du
« réveil » au sein du G :.O :. De F :. de ce rite. Il
y est question beaucoup d’administration, de points de légalité maçonnique et,
avant tout, de politique et de diplomatie. « Décider du réveil d’un rite
est un acte politique majeur » explique l’auteur. Or, il n’y a rien de
plus toxique pour l’initiation que la politique.
Venons-en à la problématique de ce réveil et
à l’auto-légitimisation douteuse qui nous est proposée par le Grand-Orient. Il
y a d’abord les raisons qui justifient ce réveil. Le Grand-Orient aurait pris
acte de la déliquescence des rites égyptiens suite à l’éclatement bien réel de
l’Ordre de Memphis-Misraïm. Il se pose ainsi en « sauveur » des rites
égyptiens. C’est oublié bien vite que l’histoire des rites maçonniques
égyptiens depuis deux siècles fut toujours très agitée, sans que cela ne nuise
à leur permanence et à leurs travaux. La culture maçonnique égyptienne, qui
est, ne l’oublions pas, au service de praxis rigoureuses (notamment inscrites
dans les quatre derniers grades de l’Echelle de Naples), supporte certes mal
les lourdeurs administratives, les protocoles et procédures, le nombre et les
visions conformistes, mais elle est éminemment vivante et n’a aucunement besoin
d’être sauvée, surtout par un carcan administratif comme savent si bien en
construire les grandes obédiences. Quelles garanties de stabilité celles-ci
offrent-elles ? Faut-il rappeler les pugilats aux convents annuels du
G :.O :., qui aboutissent devant les tribunaux profanes, les luttes
de pouvoir, les problèmes de gestion… ? Il n’y aurait pas d’agitation au
Grand-Orient de France ? D’ailleurs, après seulement quelques années
d’activité, Christian Perrotin avoue déjà avoir dû faire face au sein de son
rite à quelques remous qu’il attribue curieusement à « d’anciennes
habitudes du rite », plutôt qu’aux conditionnements courants de l’humain,
maçon ou non.
Les reproches faits aux rites maçonniques
égyptiens historiques par le G :. O :. sont légion. Nous trouvons,
pêle-mêle : le système traditionnel pyramidal, la cooptation, la
non-séparation des pouvoirs entre les grades bleus et les hauts grades,
l’absence d’obédience… auquel Christian Perrotin oppose le vote démocratique et
l’élection. Curieusement, les protagonistes de cette aventure prône l’élection
par vote démocratique, pourquoi pas l’élection véritablement traditionnelle qui
est, rappelons-le un tirage au sort.
Citant Ludovic Marcos et Jean-Louis de Biasi,
est dénoncé également « Le parasitage de la maçonnerie égyptienne par des
structures qui lui sont étrangères… ». Il évoque ainsi « les liens
avec les systèmes paramaçonniques, qui n’ont rien d’historiques si l’on remonte
aux fondateurs des différents rites égyptiens… ». Nous pouvons supposer
qu’il s’agit des ordres rosicruciens, martinistes, pythagoriciens, égyptiens
non maçonniques ou autres, dont les membres n’ont cessé de croiser les rites
maçonniques égyptiens pour tisser ensemble toute l’histoire de l’hermétisme
européen depuis plus de deux siècles. Plusieurs responsables de ce réveil des
rites égyptiens au sein du G :.O :. ont d’ailleurs des appartenances
voire des responsabilités aujourd’hui même au sein de ces systèmes dits « parasites ».
Il ne s’agit pas de douter de la sincérité de
la démarche des frères qui se sont lancés dans ce projet. Nous mettons en
évidence ici les contradictions que soulèvent les raisons avancées pour
justifier de ce projet. L’obédience politique du G :. O :. de France
a vu dans le morcellement actuel d’un OMM qui avait grandi trop vite et
abusivement (de l’aveu même de Gérard Kloppel), cause principale de son
éclatement, une opportunité d’occuper l’espace et de s’approprier les rites
égyptiens. Car en effet, le G :.O :. condamne globalement tous les
rites maçonniques égyptiens dans le monde, et prône l’adoption par tous du
modèle administratif du G :. O :., seul capable d’apporter « la
sérénité », alors que certaines branches égyptiennes étaient déjà actives
quand le G :.O :. de France prenait difficilement forme. Nous avons une
sorte d’Offre Profane d’Achat sur un rite initiatique ancien.
Il y a toutefois un point très positif dans
ce projet. On parle enfin très officiellement dans les temples du
G :.O :. de kabbale, d’alchimie, d’astrologie… de ces sciences et
arts traditionnels qui ne sont au mieux rue Cadet qu’un sujet d’études
historiques. Il est difficile de dire ce que ce projet donnera à moyen terme,
la présence de François Trojani en fin d’ouvrage et la bonne volonté d’un grand
nombre de frères, suscitent quelques espoirs. Ce que l’on peut toutefois
affirmer, c’est que les rites maçonniques égyptiens, hors G :. O :.,
poursuivent le travail hermétiste opératif, dans des conditions semblables à
celles des deux siècles précédents, c’est-à-dire loin du nombre et de la contrainte
administrative, et ce malgré les inévitables agitations humaines.
La question de la légitimité historique ne
mérite même pas d’être abordée. En matière d’hermétisme, la légitimité est
seulement opérative et silencieuse.
Editions
Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.