samedi 9 avril 2011

Hadewijch d’Anvers

Hadewijch d’Anvers ou la voie glorieuse par Jacqueline Kelen, Editions Albin Michel. Ce nouveau livre de Jacqueline Kelen est un magnifique hommage aux béguines et à la liberté des femmes. A travers cette rencontre magnifique avec Hadewijch d’Anvers, c’est la tradition des esprits libres, la sagesse de la folie contrôlée, présentes dans tous les courants initiatiques et religieux, qui nous sont contées : « Hadewijch, comme toujours visionnaire et par là même pionnière, distingue trois modes de sanctification. Dans un ordre croissant : les plus nombreux sont les saints de la fidélité ; au-dessus et en plus petit nombre se trouvent les saints de l’humilité ; et enfin, bien plus rares, les saints du défi - ces insoumis, ces âmes intransigeantes autant qu’ardentes qui « veulent tout », qui provoquent l’Amour et se mesurent à lui, franchissent avec joie les frontières humaines pour se perdre dans l’abîme d’En Haut. » Hadewijch et Jacqueline Kelen révèlent la continuité de l’extase de la chair en celle de l’esprit et la plongée de l’extase de l’esprit dans le corps : « Nourrie et inspirée par le Cantique des cantiques, la béguine ne cherche pas à l’édulcorer ni à faire de cette passion amoureuse très sensuelle une allégorie abstraite de la relation tissée entre Dieu et la créature humaine. Ce qu’elle propose en modèle aux âmes contemplatives, c’est l’image des Amants. Non des Epoux, ni des Amis. Vivre en amants, c’est être épris passionnément et respirer un amour de liberté. C’est l’étreinte jointe à l’adoration. » Elle s’attarde sur le « baiser pénétrant », précise Jacqueline Kelen, sur le « total embrassement » et autres merveilles, et elle dénombre les effets de l’union : « tendresse, douceur, joie et jubilation ». Souvent elle parle d’un amour qui dévore et engloutit, en reprenant le thème du « cœur mangé » des récits courtois. Amour ne laisse rien après soi, hormis lui-même. Pourquoi est-elle si désirable et si précieuse cette fruition ? Non parce qu’elle procure plaisir et volupté à la mystique, mais parce qu’elle fait entrer dans le Grand Mystère : « Dans la jouissance d’amour, nous devenons Dieu Tout Puissant et juste ». Tel est le désir ou le défi suprême de Hadewijch ; « Devenir Dieu avec Dieu. » Une audace spirituelle inouïe que reprendront avec elle Maître Eckhart et le Flamand Ruysbroeck, mais en prenant bien soin d’en écarter toute dimension érotique. » La voie des Béguines est l’une des très rares voies non-duelles d’Occident, ce que saura reconnaître Maître Eckhart. Seul l’Un, dans la « coïncidence parfaite - entre corps et âme, amour et Amour, et entre Dieu et amour. ». D’une rare lucidité sur les cristallisations de la rumeur dualiste qui figent la voie dans des diversions multiples, Hadewijch incarne une voie directe, immédiate, inconditionnelle, absolument libertaire. « L’Amour est un, tel est le message essentiel que Hadewijch veut transmettre à son interlocuteur demeuré anonyme. Il est le visage rayonnant, insoutenable, de la Divinité, il est aussi dans la ferveur qui porte l’homme et la femme l’un vers l’autre et qui les fait s’élever vers lui. Minne est à la fois l’Essence (l’Amour) et sa manifestation (l’amour). Or, le privilège suprême accordé à la mystique, durant trois jours et trois nuits « perdue dans la jouissance de Dieu », consiste à « Le goûter comme homme et comme Dieu ». » « Il est une manière d’aimer, poursuit Jacqueline Kelen, qui lève toute séparation entre le charnel et le spirituel, qui embrase l’être en une seule lumière. Telle est la fureur (orewoet) qui emporte Hadewijch jusqu’à un « ciel nouveau » où il lui est donné de vivre l’union indissoluble du divin et de l’humain dans l’Amour. » Au cœur du collier de perles précieuses que constituent les écrits de Jacqueline Kelen, qui assure ainsi la permanence de la Tradition d’Amour, ce livre est un joyau tout particulier, par son intransigeance avec le « trop humain », sa beauté et sa puissance. Jacqueline Kelen allie la célébration de la liberté et de l’Amour à une pensée impertinente et pénétrante. Editions Albin Michel, 22 rue Huyghens, 75014 Paris.