Magie et Franc-Maçonnerie au XVIIIe siècle. Manuscrit de l’Ordre des Elus Coën. Le Cahier Vert – Tome 1, par Georges Courts. Préface de Rémi Boyer. Arqa Editions. ISBN 2 - 7551 – 0042-7.
C’est fait ! Après bien des péripéties, le fameux Manuscrit d’Alger, mieux qualifié par le titre de Cahier Vert, est enfin disponible, du moins partiellement, avec ce premier tome. Le tome 2 est attendu pour 2010.
Cette publication est importante de deux manières. Elle démystifie un document qui était devenu une légende, au sein de l’histoire déjà complexe de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers, un objet commercial pour certains opportunistes et même un enjeu de pouvoir dans certains groupes. Elle met à la disposition des chercheurs et surtout des pratiquants un outil de travail qui vient parfois enrichir, mais surtout préciser, les documents disponibles et notamment ceux du fonds Z.
Le Cahier Vert s’adresse à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de cet ordre si particulier fondé par Martines de Pasqually, aux chercheurs qui se consacrent à l’étude de la théurgie et en priorité aux opératifs avertis qui seuls sauront mettre en oeuvre et saisir ce dont il est question ici.
Robert Amadou, à qui tout martinéziste, tout martiniste et, plus largement, tout franc-maçon, doit beaucoup, a souvent mis en garde contre une pratique prématurée de la théurgie, une impréparation ou une incompréhension de sa nature et de sa finalité. La théurgie et l’alchimie ne doivent être mises en oeuvre que dans la zone de silence, hors concept, hors croyance, hors représentation. Comme leur étymologie le suggère, la théurgie et l’alchimie ne s’adressent pas à des « personnes », mais à des « individus », à la part indivisible de nous-même, notre réalité originelle et ultime, l’Un. La personne conditionnée n’est pas concernée par l’affaire de la « Réintégration », pas plus que par la « Chose ». Elle en est même le seul obstacle. D’où la nécessité d’une pragmatique du silence au quotidien, renforcée par des périodes d’ascèse pour approcher au plus près l’axe de la pure présence.
L’expérience théurgique présente plusieurs degrés, depuis un dualisme forcené jusqu’à la subtilité non-duelle. Tout d’abord le pratiquant est enclin à penser que les hiérarchies célestes, les entités avec lesquelles il s’associe par l’invocation, existent à l’extérieur de lui. Progressivement, il découvrira l’étrange relation qui le lie à ces entités qu’il nourrit autant qu’elles le nourrissent. Plus tard, il comprendra que les hiérarchies n’existent qu’en lui, qu’il en est le créateur. Enfin, rejoignant le Centre de toute chose, il saisira qu’il n’y a rien de tout cela. L’ange du renversement, comme le nomme si bien Jean Canteins, aura fait son oeuvre pour conduire l’être à l’Être, au sein du Réel.
Ce chemin vers le simple, qui caractérise l’initiation, est celui qu’emprunta Louis-Claude de Saint-Martin qui, après avoir opéré avec succès selon la théurgie des Elus Coëns, intériorisa celle-ci en une voie cardiaque, entendons une voie du Centre. Mais, souvenons-nous qu’on ne peut abandonner que ce que l’on détient, renoncer qu’à ce que l’on maîtrise.
Le Cahier Vert est l’une des pièces d’un ensemble théurgique remarquable. Il contribue à la reconstitution de cet ensemble qui, à l’époque de Martines de Pasqually, ne fut jamais mis en oeuvre dans sa totalité et dans sa cohérence, Martines continuant jusqu’au bout à rédiger, reprendre, réorganiser les éléments de ce « culte primitif ». Sans la rigueur de Louis-Claude de Saint-Martin, qui joua le rôle salutaire pour l’ordre de secrétaire de Martines de Pasqually, nous n’aurions pas une connaissance si juste aujourd’hui de la doctrine et des pratiques des Elus Coëns.
Cette belle édition en grand format, si attendue, vient donc répondre à des intérêts divers, intellectuels et opératifs.
Éditions ARQA, 29 bd de la Lise, 13012 Marseille.
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