lundi 24 février 2014

L’Eglise et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin



L’Eglise et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin de Jean-Marc Vivenza, Editions La Pierre Philosophale.

C’est un travail considérable que nous propose Jean-Marc Vivenza, peut-être le meilleur, tout au moins le plus nécessaire, du côté des traditions occidentales et de cet illuminisme qu’il défend depuis des années, parfois même avec véhémence.
Il y a deux livres en un, qui se distinguent d’ailleurs physiquement, l’un se trouvant en dessous de l’autre, page après page, dans un appareil de notes impressionnant.
Le premier livre éclaire la conception et l’expérience du sacerdoce chez Louis-Claude de Saint-Martin d’après les écrits du Philosophe Inconnu. Le second livre consiste en un commentaire érudit et personnel de l’auteur sur ce sacerdoce interne, finalité de la queste chrétienne. Les deux ouvrages sont dignes d’intérêt. Leur juxtaposition donne à penser. Nous connaissons tous, le lieu intellectuel et spirituel, souvent origèniste mais pas seulement, d’où écrit Jean-Marc Vivenza, à travers l’ensemble de ses livres et à travers les très nombreux blogs qu’il anime sur la toile. Si nous ne le suivons pas toujours, notamment sur ses condamnations excessives et passionnées de la théurgie, simple temps, ni obligatoire, ni nécessaire mais parfois utile comme toute forme, dans un procès initiatique qui conduit au dépouillement et au sans forme, nous reconnaissons l’apport qu’il réalise au courant illuministe qui, disons-le, se porte plutôt bien de nos jours, dans ses constances et dans ses éclats.

Nous le savons, Louis-Claude de Saint-Martin est un être d’exception par ses écrits certes, plus encore par sa vie. Il a vécu en théosophe. Jean-Marc Vivenza nous rappelle la place essentielle qui est la sienne au sein du courant illuministe :

« Le Philosophe Inconnu fut pénétré, apparemment avec une réelle constance, d’une vision singulièrement originale, vision certes nourrie par ses propres analyses qu’il eut largement le temps de méditer depuis sa première initiation à Bordeaux, et d’exposer en différentes occasions, mais également, significativement inspirée par une volonté de retour à un christianisme purifié et authentique. Et, à cet égard, Saint-Martin, à la suite de Pasqually (+ 1774), Nicolas Antoine Kirchberger, Karl von Eckhartshausen (1752-1803), Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) et bien d’autres encore, est le pur héritier, à divers titres de ce courant invisible présent depuis des siècles au sein du christianisme, et ce dans l’acception de sa vocation johannique, silencieuse, discrète et réservée, qui, de par sa secrète et intérieure présence, est en sympathie avec les multiples tendances prônant une relation directe avec les régions célestes, un cœur à cœur immédiat et intraduisible entre l’homme et Dieu, cœur à cœur que l’on peut définir, sans forcer les règles de la rigueur terminologique, comme étant de nature « ésotérique », c’est-à-dire voilé et inconnu du plus grand nombre… »

Il existe chez Saint-Martin une voie directe qui passe par l’affranchissement des dogmes, des enseignements, des organisations, des formes et des considérations de toute nature, une Sagesse :

« Cette « Sagesse », précise Jean-Marc Vivenza, que le Philosophe Inconnu avait nommée « Sainte Sophie », celle qui fait de chacun d’entre nous des « amis de Dieu », se dévoile dans l’interne, dans le cœur de l’homme, là où elle enfante en ce centre mystique, et il l’est de par sa relation au mystère, le Verbe. On comprend donc l’importance de se recentrer sur cette « région » essentielle, d’où prend sa source et son développement, la voie d’union avec le Ciel, car c’est là, en ces domaines éclairés seulement par la lumière incréée, que l’âme réalise son union avec le divin, et célèbre, loin des formes et des cérémonies externes, le culte de l’Eternelle Alliance. »

Jean-Marc Vivenza met en évidence les principes qui véhiculent cette Sophia. Si « Le sacerdoce réel est en relation avec le Culte invisible » pour Saint-Martin, cela s’accompagne d’une « constante critique du sacerdoce visible ». Il y a chez Saint-Martin « une théologie de la grâce » qui prend tout son sens quand l’homme se trouve, consciemment, face à « deux abîmes : d’un côté l’abîme de la miséricorde, de l’autre l’abîme du péché ». En effet, « la grâce divine opère l’œuvre de régénération de l’âme. (…) L’homme doit naître, ou plus exactement renaître en grâce, il doit être transformé, et surtout, et en premier lieu, se laisser renouveler et purifier par la grâce… ». Il existe pour Saint-Martin, une doctrine intérieure vivante, à laquelle les ministres de l’Eglise n’ont plus accès, qui ne peut être énoncée, puisqu’elle relève exclusivement de l’interne et de l’intime, mais dont on peut témoigner. Là réside le christianisme originel. Cette « doctrine occulte » est notamment inscrite, en creux, dans certains passages obscurs de l’Ecriture. Ceux qui peuvent, savent, accéder à cette dimension interne constituent l’Eglise intérieure, informelle, et participent au véritable sacerdoce. Sévère envers l’Eglise visible, Saint-Martin n’aura de cesse d’appeler au « Ministère de l’homme-esprit », un ministère libre, réponse à « une magnifique invitation faite à l’homme, de vivre dans l’intime communion de Dieu et du ciel ».

Après avoir mis en évidence « les cinq dégradations successives de l’Eglise », Jean-Marc Vivenza caractérise, autant que faire se peut, « l’Eglise intérieure ou la communauté de la lumière ». Elle est « fondée », ce qui peut surprendre, par la Parole, qui résonne dans le cœur de l’homme, selon une « opération de l’Esprit ». « L’Eglise intérieure forme la communauté des âmes régénérées en Christ, la « communauté de la lumière », selon l’expression que Karl von Eckhartshausen (1752-1803) emploie dans La Nuée sur le sanctuaire (…) c’est cette Eglise qui avait été annoncée par le Christ, c’est cette assemblée qui s’était cachée et préservée en son cœur évidemment, dans laquelle se trouvent conservées la vraie religion, la pratique du culte et les connaissances mystérieuses réservées aux élus de l’Eternel. »

Remarquons ici la parenté de pensée entre Saint-Martin et Swedenborg, le savant et voyant suédois, dont la Nouvelle Eglise (qui n’était pas destinée dans sa pensée à devenir une organisation) évoque bien l’Eglise intérieure.

Nous avons, dit Jean-Marc Vivenza, à enfanter cette Eglise intérieure, « Eglise selon l’Esprit », dans la continuité du sacerdoce primitif, par un pur abandon. Il s’agit de laisser libre la place et nous retrouvons ici certains présupposés des voies du Corps de Gloire. Nous sommes bien aux fondements de la Tradition quand l’auteur insiste sur « cette possible régénération accomplie dès maintenant, non dans un état qui doit succéder à la mort, mais à chaque heure de notre vie présente ». L’eucharistie est donc intérieure, tout comme le baptême, « baptême de régénération reçu intérieurement, uniquement par le biais du compagnon fidèle, de l’ami angélique, qui nous accompagne dans notre chemin en ce monde ».

Cet imposant travail (plus de 500 pages) est une opportunité pour tous ceux qui cherchent cette voie directe saint-martinienne, caractéristique du christianisme primitif, de l’approcher comme « un sacerdoce spirituel selon l’esprit du christianisme ».

Editions La Pierre Philosophale, C3 Les Acacias, 17 avenue Eisenhower, 83400 Hyères, France.