La correspondance maçonnique échangée par Jean-Baptiste Willermoz et
Claude-François Achard de Jacques Rondat. Deux tomes aux Editions de La
Tarente, Mas Irisia, Chemin des Ravau, 13400 Aubagne.
Jean-Baptiste
Willermoz développa tout au long de sa vie une grande activité épistolaire. L’ensemble
de cette correspondance reste à rassembler et devra donner lieu dans le futur à
une analyse approfondie et probablement passionnante.
Le
remarquable travail de Jacques Rondat est circonscrit à la correspondance de
Jean-Baptiste Willermoz avec Claude-François Achard à une époque où le Régime
Ecossais Rectifié est moribond. C’est l’occasion pour Willermoz de relancer son
projet dans le Sud-Est de la France qui restera une « terre rectifiée ».
Le premier des deux tomes que nous offre l’auteur est justement intitulé Un
cours de maçonnerie rectifiée. En effet, tout au long de cette
correspondance, Willermoz délivre une série de consignes, explicitées sur le
fond, visant la mise en œuvre du rite dans toutes ses dimensions, formelles et
implicites. Ce travail fait écho à celui de Loïc Montanella consacré à La
naissance de la province d’Auvergne du régime rectifié, d’après la
correspondance de Jean-Baptiste Willermoz (17772 – 1775), publié chez le même
éditeur, qui prenait notamment appui sur une autre correspondance de Willermoz
avec, cette fois, le baron von Weiler. Ces correspondances permettent de
comprendre les procès à l’œuvre dans la mise en œuvre d’un projet idéal dans le
quotidien, toujours troublé, des êtres humains.
Le
choix méthodologique de l’auteur, associant l’analyse et le commentaire
directement au passage de la correspondance étudié, permet d’éviter des
interprétations trop éloignées du contexte. Par ailleurs, le lecteur peut
retrouver l’ensemble de la correspondance transcrite dans le second volume pour
une lecture au long cours. L’étude de la correspondance obéit à un choix
thématique en trois grandes parties : doctrine et symbolisme –
organisation et administration du Régime rectifié – vie professionnelle, privée
et familiale de Willermoz.
Le
premier thème permet par exemple de découvrir l’évolution de la pensée de
Jean-Baptiste Willermoz à propos du magnétisme animal ou ses rapports avec l’ésotérisme
ou la religion chrétienne catholique. Nous y trouvons aussi la question, très
importante, de l’arithmologie du Régime rectifié, mais peu développée ici. Les
relations entretenues avec Louis-Claude de Saint-Martin apparaissent à travers
l’influence du livre de ce dernier, Des erreurs et de la vérité, dans la
pensée willermozienne. Willermoz admirait Saint-Martin et cet ouvrage majeur du
Philosophe inconnu fut publié à l’époque des célèbres « Leçons de Lyon »
données aux émules lyonnais de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers
par Willermoz, d’Hauterive et Saint-Martin. Les thèmes développés par
Saint-Martin dans Des erreurs et de la vérité furent au cœur des
échanges. On notera que les livres du Philosophe inconnu ont du vivant de
Willermoz une influence importante dans les loges rectifiées sans être pour
autant conseillés à l’étude par la direction du régime, influence que regrette
Willermoz en raison de l’extrême complexité de la pensée saint-martinienne et
des mauvaises interprétations qui s’en suivent.
C’est
sans doute le deuxième thème retenu, celui de l’organisation et de l’administration
du Régime rectifié qui est le plus intéressant, sur l’apparition et l’histoire
du Régime, sur le rôle du Directoire, sur la pensée et les instructions de
Willermoz, entre autres. Willermoz dresse une typologie très lucide des membres
d’une loge (typologie qui vaut pour toute organisation à prétention
initiatique) :
« Les
uns, et en petit nombre sont des aigles en intelligence, mais dont souvent le cœur
est froid ; d’autres sont des âmes douces et sensibles, mais dont les
ailes courtes ne peuvent pas s’élever bien haut ; d’autres encore avec un ensemble
de vertus et de qualités sociales qui les rendent chers à ceux qui les
connaissent, paraissent apathiques pour les choses de l’Ordre et semblent n’attendre
qu’un véhicule de sa part pour les tirer de cette léthargie ; d’autres enfin
présomptueux, aimant à diriger et à dominer, quelques fois même intrigant,
comme je l’ai vu trop souvent, pour assurer leur domination n’ont souvent aucun
mérite essentiel que celui de leur assiduité aux travaux et délibérations de la
loge, qu’ils veulent faire prendre pour du zèle. »
L’antidote
demeure le travail et encore le travail, selon un ordre précis d’instruction,
et une invitation à être soi-même et à laisser le cœur parler : « ce
ne sont pas des discours fleuris et recherchés que l’on vous demande : c’est
l’exposition simple et naïve de vos pensées sur telle ou telle partie de l’instruction
que vous avez reçue, afin que vos Frères et vos supérieurs puissent connaître
si elle est tombée sur un fonds mort ou vivant. ».
Toutes
les instructions de Willermoz, ses conseils, visent à faire d’une loge une véritable
école de sagesse et de recherche. Inlassablement, il aura fait de la
rectification un art initiatique permanent et un mode de vie. Ce témoignage
important contribue, au-delà de la compréhension du Régime Ecossais Rectifié, à
la connaissance du procès initiatique, à ses exigences, à son orientation, à sa
finalité.