Martinès de Pasqually. Un énigmatique franc-maçon
théurge du XVIIIème siècle, fondateur de l’Ordre des Elus Coëns par Michelle Nahon. Editions
Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.
Les
figures de la scène ésotérique restent souvent, et sans doute nécessairement,
insaisissables. Comme le rappelait Nietzche, nous aimerions avoir la vérité
d’un sujet mais nous n’avons que des évaluations. Toutefois, les regards portés
des décennies, voire des siècles plus tard, sur une personnalité, peuvent
permettre, en partie, de mieux comprendre son œuvre.
Cette
deuxième édition de l’étude précieuse de Michelle Nahon sur l’un des principaux
acteurs de l’illuminisme occidental est largement augmentée. Si Martinès de
Pasqually demeure à bien des égards mystérieux, cette étude, croisée avec
quelques autres apports historiques des deux dernières décennies, permettra de
mieux comprendre l’intention et la finalité du projet martinésiste et de ses
riches prolongements notamment saint-martiniens et willermozistes.
Grâce
à un travail de recherches rigoureux, très systématique, collectif, Michelle
Nahon réussit à clarifier de nombreuses zones d’ombre de la vie de ce noble
aventurier que fut Martinès. Elle le rend ainsi plus familier, plus accessible
aussi.
Si
le projet de Martinès de Pasqually emprunte au cadre maçonnique, sa nature est
autre, à la fois chevaleresque et sacerdotale, organisée autour d’opérations
théurgiques de réintégration aussi complexes qu’exigeantes. Michelle Nahon
explore les conditions de la mise en œuvre de ce projet, souvent difficiles,
parfois mêmes si chaotiques que nous pouvons nous étonner d’entendre encore
parler de Martinès de Pasqually, de ses émules et de la doctrine de la
réintégration des êtres particulière aux Elus Coëns, en ce début de XXIème
siècle, et sans doute encore pour longtemps, même si cela demeure marginal.
L’ouvrage
distingue les années obscures, les années fastes et les années difficiles, une
distinction que nous pourrions appliquer à la plupart des grandes figures de la
scène ésotérique.
Les
années obscures correspondent à l’enfance, le début de vie active dans l’armée
et les débuts de Martinès de Pasqually dans la carrière maçonnique avec la
question très discutée de la charte reçue de son père. Les années fastes
débutent avec son arrivée à Bordeaux où il séjourna une dizaine d’années et
jeta les bases de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers dans un
contexte maçonnique agité. Cela ne se fait pas sans difficultés, Martinès de
Pasqually se montre souvent convaincant, son projet rencontre l’intérêt mais
son organisation demeure confuse. Les années difficiles débutent par la maladie
de Martinès de Pasqually et se poursuivent avec son départ pour Saint Domingue.
Tensions, incompréhensions entre les hommes, aspects financiers interfèrent
avec le projet martinésiste malgré le soutien de Louis-Claude de Saint-Martin
qui quitte l’armée et se consacre à l’Ordre.
Michelle
Nahon évalue favorablement, malgré les obstacles, le rôle des Elus Coëns :
« L’ordre
de Martinès est resté en sommeil et son fils ne l’a pas remis en activité mais
ce n’est pas pour autant que sont perdus tout ce travail, tout cet enseignement
et tous ces textes. Le maître a su apporter à ses émules une formation solide,
critique, éthique, avec des bases de réflexion quasi philosophique et une forme
d’ésotérisme chrétien qui vont leur permettre d’avoir un rôle important dans
l’évolution de la Franc-maçonnerie et de l’illuminisme. A cette formation
théorique, il a ajouté des techniques qui leur ont permis d’être dans une
certaine réceptivité et de développer une capacité à se mettre à distance des
événements et des idées reçues. »
Cette
nouvelle édition est enrichie par plusieurs découvertes et informations
nouvelles notamment sur la fameuse patente retrouvée à Minsk en Biélorussie
mais aussi sur les activités d’une Loge du Saint Esprit fondé à Bordeaux en 1770.
Plusieurs manuscrits du Traité de la
Réintégration des êtres ont été retrouvés ainsi qu’un rituel d’équinoxe
presque complet. Parmi les outils mis à disposition du lecteur, se trouve une
très utile chronologie fortement détaillée.
Le
travail de Michelle Nahon précise nombre de détails de la vie de Martinès de
Pasqually et l’apport historique de ce livre est indéniable même si nous
pouvons espérer des recherches futures des réponses, sans doute partielles, aux
nombreuses interrogations qui demeurent.