dimanche 26 juin 2022

Ecrits Saint-Martinistes

 

Ecrits Saint-Martinistes de Jean-Marc Vivenza. La Pierre Philosophale Editions, Les Acacias, 17 avenue Eisenhower, 83400 Hyères.

www.lapierrephilosophale.com

Ce nouveau volume d’écrits saint-martinistes rassemble deux textes de l’auteur, publiés en 2007 et 2009. Le premier texte, publié chez Arma Artis, était devenu introuvable, il s’agit de l’ouvrage La Prière du Cœur selon Louis-Claude de Saint-Martin.

Nous savons la place essentielle que la prière du cœur tient dans le christianisme et dans le martinisme qui se veut une voie cardiaque. L’étude de Jean-Marc Vivenza éclaire particulièrement le rapport qu’entretenait Saint-Martin avec la prière, fort éloigné de celui du plus grand nombre, qui englue sa prière dans l’avoir et le faire.

« Saint-Martin, à ce stade de son discours, va aller jusqu’à employer une image d’une rare profondeur métaphysique, puisqu’il nous invite à devenir un « véritable rien », et ceci pour nous enjoindre à nous rendre conformes à la volonté de Dieu. L’expression peut surprendre, bien qu’elle soit d’un usage qui se rencontre assez régulièrement dans les écrits des mystiques, mais pourtant elle traduit parfaitement, chez le Philosophe Inconnu, le caractère propre de l’œuvre qui nous incombe, elle exprime, à merveille, l’état auquel nous devons aspirer pour nous permettre de recevoir Dieu en nous, pour lui faire place nette, lui offrir la totalité de l’espace dont nous disposons, pour le recevoir complètement et entièrement, afin qu’il puisse établir son séjour en notre intime et s’unir à nous. »

 


 

Jean-Marc Vivenza met en évidence la spécificité de la voie cardiaque, purifications préalables, présence, vide et « sublime abandon » :

« L’œuvre de prière pour Saint-Martin, comme nous le découvrons, est donc préalablement une voie d’anéantissement, car elle est, en son étonnante perspective, un chemin au bout duquel Dieu vient prier lui-même en nous, nous faisant passer de l’assujettissement face à la mort aux promesses de la résurrection. Accepter de se faire un « véritable rien », selon l’expression du Philosophe Inconnu, c’est permettre l’éclosion divine, c’est assister en soi à la transformation des éléments mortels en une substance d’immortalité. Voilà le véritable abandon, nous révèle Saint-Martin, voilà cet état où notre être est continuellement et secrètement amené de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière, et si on ose dire, du néant à l’être ; passage qui nous emplit d’admiration, non seulement par sa douceur, mais bien plus encore parce que cette œuvre reste dans la main divine qui l’opère, et qu’heureusement pour nous, elle nous est incompréhensible, comme toutes les générations dans toutes les classes le sont aux êtres qui en sont les agents et les organes… ». »

Etude indispensable, le travail de Jean-Marc Vivenza, à travers le rapport à la fois traditionnel et original que Louis-Claude de Saint-Martin entretient avec l’art de la prière, affirme la spécificité et la force du véritable martinisme, voie d’éveil occidentale qui se peut vivre dans la même intensité et la même nudité que les grandes voies orientales.

Le second texte, intitulé La « Sophia » et ses divins mystères aborde un sujet cher au Philosophe Inconnu, qu’il développera dans son dernier livre, Le Ministère de l’Homme-Esprit mais, la notion est déjà présente dans des écrits précédents, discrètement. Jean-Marc Vivenza note que « Saint-Martin n’a pas découvert la figure de la Sophia, de la « Divine SOPHIE » à la seule lecture de Jacob Boehme, puisque son premier maître, Martinès de Pasqually lui avait déjà largement transmis les clés spirituelles nécessaires et suffisantes afin d’approcher cette sainte et mystérieuse notion. »

Jean-Marc Vivenza aborde la notion de Sophia, qui demeure insaisissable par nature, à travers divers prismes avant d’approcher le rapport profond que Saint-Martin entretient avec cette Divine Sagesse. Quels que soient les écrits laissés par le Philosophe d’Amboise, il est bien entendu impossible de connaître réellement son expérience sophianique, toutefois il est possible de reconnaître l’infusion de la Sophia dans son œuvre et sa vie. Jean-Marc Vivenza s’intéresse tout d’abord à la présence de la Sophia dans certains courants kabbalistes chrétiens de la Renaissance puis chez Jacob Boehme, avant de s’attacher à sa fonction au cœur de la Sainte Trinité. Il remarque le lien, établi par Saint-Martin entre la Sagesse et la prière du Nouvel Homme.

Cet ouvrage de commentaire met l’érudition de l’auteur au service de la pensée de Louis-Claude de Saint-Martin. De nombreux extraits d’écrits du Philosophe Inconnu s’articulent avec des citations d’autres auteurs pour faire cheminer le lecteur vers l’essentiel.

En annexe, nous trouvons en appui de la thèse de l’auteur, des extraits de la « Correspondance inédite de Louis-Claude de Saint-Martin dit le Philosophe Inconnu, et Kirchberger baron de Liebisdorf », un texte de Louis-Claude de Saint-Martin : « Le juste Elie, dont le nom embrasse toutes les classes d’Êtres supérieurs à la matière », des extraits d’écrits en lien avec le sujet de Madame Guyon : « IIIe Livre des Rois, ch. XIX, versets 8 à 14 Avec les Explications & Réflexions qui regardent la vie intérieure » et le texte de Louis-Claude de Saint-Martin : « Le véritable christianisme » publié dans Le Ministère de l’Homme-Esprit.

Un bel ouvrage pour les martinistes au sens le plus large et les saints-martiniens.

samedi 25 juin 2022

Héritage-Willermoz n°6. Convent de Wilhelmsbad

 

La revue de la Loge de recherche Héritage n°2 de la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra consacre son numéro 6 au Convent de Wilhelmsbad, à l’occasion de son 240ème anniversaire.


Les sujets choisis couvrent trois périodes, avant le Convent, le Convent lui-même et après le Convent : Les éléments fondamentaux du Convent – La préparation du Convent de 1779 à 1782 – Les trois circulaires – Les travaux des directoires – La liste des frères clés et leur tendance – Des Chevaliers du Temple aux Chevaliers Bienfaisants, 10 sessions – Du Temple et des Temples – Le Code et la Règle ou l’esprit d’un Rite – L’élaboration des rituels – La controverse Beyerlé-Willermoz – Les éléments coëns des nouveaux rituels entre 1782 et 1785 – Substitution de Tubalcaïn à Phaleg dans le Rite Ecossais Rectifié…

S'adresser pour toute commande de ce n° et les nos antérieurs au Service communication de la GLTSO.

diffusion@gltso.org

 


 

Le Rite Ecossais Rectifié. Un chemin de vie chrétienne

Le Rite Ecossais Rectifié. Un chemin de vie chrétienne de Pascal Gambirasio d’Asseux. La Pierre Philosophale Editions, Les Acacias, 17 avenue Eisenhower, 83400 Hyères.

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Pascal Gambirasio d’Asseux envisage le Rite Ecossais Rectifié comme un chemin chrétien vers l’intériorité. Si la référence principale est celle de la foi chrétienne la plus « classique », rejetant tout gnosticisme, l’ouverture vers un ésotérisme chrétien, esôterikós, et le recours soutenu à l’hébreu, par la kabbale, lui permet d’éviter un enfermement dogmatique intégral même s’il se veut garant d’une forme d’orthodoxie.

En liant intimement Connaissance et Amour, initiation et mysticisme, deux modalités, il ouvre sur un chemin opératif, exigeant, induit par les rituels au sein du Rite Ecossais Rectifié :

« Dans le christianisme – et c’est l’une de ses spécificités, sa « nouveauté, au sens évangélique précisément, par rapport à l’ensemble des spiritualités traditionnelles – la voie initiatique ne constitue pas une voie spirituelle de nature distincte de la voie de piété et de dévotion ni de la voie mystique (au sens courant du terme) qui est la sublimation de cette dernière, mais « simplement », comme nous l’avons dit, un mode de réalisation particulier : un modus operandi spiritualis. » 

 

 


 

Ce chemin d’intériorité n’est sans doute pas éloigné de celui préconisé par Louis-Claude de Saint-Martin, particulièrement quand Pascal Gambirasio d’Asseux cherche à cerner ce qui est pour lui l’ésotérisme :

« On le comprend, ce véritable ésotérisme, en son sens premier et plénier désigne ce qui ne peut être vécu que de et par l’intériorité de l’être ; une connaissance spirituelle au plus intime de soi ; une compréhension intériorisée en étant soi-même au cœur de ce qui est objet de connaissance : une inhabitation (ainsi que s’exprime la théologie) en ce château intérieur aux multiples demeures décrit par Sainte Thérèse d’Avila. »

Le grand intérêt du livre est d’orienter vers les praxis, ce qui manque cruellement de manière générale en Franc-maçonnerie, principalement par la kabbale, ce qui permet de reconnaître et approfondir l’articulation entre Ancien Testament et Nouveau Testament, Ancienne Alliance et Nouvelle Alliance. Le recours à l’hébreu, tout à fait justifié par la référence maçonnique au Temple de Salomon permet d’envisager le RER comme voie du corps de gloire. Le développement proposé à travers les lettres et les nombres permet des perspectives théoriques mais surtout pratiques.

Nous pouvons regretter que Pascal Gambirasio d’Asseux rejette l’une des deux matrices du RER, celle de la doctrine de la réintégration de Martinès de Pasqually, se privant du dialogue, on ne peut plus fécond, entre le référentiel salomonien et le référentiel de la réintégration au grade de Maître Ecossais de Saint-André, clé opérative du rite. Cependant, il démontre qu’en se limitant à la matrice templariste salomonienne, approfondie par la kabbale, vivifiée par l’ésotérisme chrétien tel qu’il l’envisage, la voie de l’intériorité se déploie jusqu’à la Cité Sainte.

Indépendamment de l’apport historique, nécessaire pour la compréhension du rite, synthétisé dans ce livre, la part la plus importante consiste bien en une « matière » pour celui qui veut envisager réellement le RER comme voie spirituelle dans un processus pédagogique d’une grande cohérence.

« Ce sont, nous dit Pascal Gambirasio d’Asseux, ces réalités spirituelles, ainsi révélées, que chacun est appelé à intégrer en son être même afin d’en faire sa réalité vivante et d’atteindre ce que la tradition chrétienne, en particulier celle d’Orient, nomme si justement la « déification ». Ce sont donc elles que nous présentons ici sous un angle de vue telles, que selon nous, le Rite Ecossais Rectifié les retrace, les assemble et les relie en une véritable « pédagogie spirituelle ». »

En invitant le lecteur vers la pratique du RER comme véhicule d’exercices spirituels, Pascal Gambirasio d’Asseux met en évidence le sens de la « rectification ». Réorienter vers la pratique, au quotidien, découlant de la métaphysique, rend seule la voie vivante.

La Grande Profession du Rite Ecossais Rectifié

 

La Grande Profession du Rite Ecossais Rectifié de Ramón Martí Blanco. La Pierre Philosophale Editions, Les Acacias, 17 avenue Eisenhower, 83400 Hyères.

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L’ouvrage en langue espagnole de Ramón Martí Blanco, qui fut Grand-Maître du Grand Prieuré d’Hispanie, consacré à la Grande Profession aux Editions Masonica.es, est désormais disponible en langue française. Ce livre, très intéressant, traite des controverses, plus ou moins marquées selon les pays et les époques, qui entourent la place et la fonction de la Grande Profession au sein du Régime ou Rite Ecossais Rectifié.

Ramón Martí Blanco commence par retracer l’histoire du projet de Profession et Grande Profession depuis son fondateur, Jean-Baptiste Willermoz, jusqu’à nos jours, une histoire qui n’aura cessé d’être problématique. Il opte dès les premières pages pour une position hostile à la doctrine de la réintégration de Martinès de Pasqually dont les instructions de la Profession et Grande Profession sont une synthèse trinitaire, mais aussi au gnosticisme, tous les deux accusés d’incompatibilité avec « les dogmes de la foi chrétienne » tels qu’établis par « les conciles successifs du christianisme », principalement « les quatre premiers Conciles de l’Eglise ».

 


 

Ramón Martí Blanco rappelle les problèmes, bien réels, qu’engendra le rapport, plus ou moins soutenu, entretenu par les membres du RER avec cette question de la Grande Profession en Espagne. Il pose aussi le problème de la prétendue filiation russe. Remarquons que ces questionnements, légitimes, mais souvent tronqués par l’adhésion étroite à des systèmes de croyance religieuse, ne sont pas qu’une « affaire espagnole », en effet ils ont aussi agité et agitent encore le microcosme du RER, en France notamment.

Ramón Martí Blanco publie les Instructions de la Profession et de la Grande Profession pour en faire une « révision critique » :

« En tant que chrétiens, Dépositaires pour l’Espagne de la Grande Profession et chefs du Régime Ecossais Rectifié, nous ne pouvons pas et n’avons pas hésité devant nos responsabilités. Nos notes de bas de pages sont le fruit du magistère de l’Eglise chrétienne, de ses Pères, du Catéchisme et des Ecritures [la Loi du Maçon, qui précise nos rituels] dont nous sommes inspirés, et en aucun cas de notre cru ou de notre désir particulier. Ainsi, nous avons fait prévaloir la doctrine de l’Eglise chrétienne sur toute autre doctrine dans les « amendements » que nous avons pu apporter. »

A aucun moment ne sont pris en compte la manière dont se sont constitués les Evangiles, ce que les historiens et exégètes spécialisés sur le sujet sont aujourd’hui capables de mettre en grande partie en évidence et notamment les contradictions, les choix très politiques, les tensions, qui n’ont rien de feutrées entre deux pôles, le pôle judéo-chrétien et le pôle pagano-chrétien au sein des textes choisis pour le Canon de l’Eglise. Les contradictions sont au cœur de toute démarche réellement spirituelle, elles pourraient permettre d’éviter toute forme d’adhérence limitante.

Les Instructions sont jugées hérétiques et l’auteur, tout à sa sincérité, met en garde contre leur utilisation. Il ne semble pas observer que la doctrine de la réintégration de Martinès de Pasqually imprègne subtilement l’ensemble du Rite Ecossais Rectifié, non seulement lesdites Instructions. C’est donc le Rite Ecossais Rectifié dans son ensemble qu’il conviendrait de dénoncer comme hérétique. Au lieu de quoi, et c’est bien le projet de Jean-Baptiste Willermoz qui fait dialoguer remarquablement dans le grade de Maître Ecossais de Saint-André la doctrine templariste salomonienne et la doctrine de la réintégration, il serait plus efficace d’explorer les doctrines qui ne sont jamais que des approximations (y compris les Evangiles, par construction) pour en extraire ce qu’elles peuvent livrer de réellement initiatique. En effet, pourquoi un ordre ou un rite initiatique si c’est pour se restreindre aux enseignements dogmatiques de l’Eglise ? Les institutions de l’Eglise ne sont-elles pas suffisantes ?


 

Pourtant une ouverture existe dans le propos de Ramón Martí Blanco quand il se tourne, très justement mais trop rapidement, vers la kabbale, prenant appui sur la préface de Pascal Gambirasio d’Asseux dont nous apprécions par ailleurs les travaux et la pensée. Mais cette ouverture vers la pensée et la connaissance est vite refermée par la postface d’Archambault de Saint-Amand qui s’emporte, entre autres, contre les thèses gnostiques qui imprègnent dit-il la doctrine de Martinès de Pasqually :

« Ainsi, dit-il, on le voit, rien ne manque dans les instructions de la Profession des erreurs gnostiques. C’est donc à se demander, de façon troublante, si le système conçu par Willermoz, n’a pas pour but de conduire de bons chrétiens, recrutés pour leur croyance en Dieu et leur état de baptisés, qui avancent jusqu’à l’Ordre Intérieur en étant convaincus d’être en accord avec la Foi de leur Eglise, vers la gnose corruptrice des sectes dualistes. C’est à croire que l’objectif visé par le RER est de transformer les baptisés en des adeptes de Basilide, Valentin ou Mani ! »

Nous aurions besoin, contre ceux qui pensent détenir la vérité, et aussi avec eux, d’une véritable démarche de recherche, initiatique si possible, mais déjà simplement au sens le plus profane.

La tradition philosophique juive nous invite à chercher non ce que veulent dire les textes mais ce qu’ils peuvent dire. Nous pouvons sans aucun doute sortir par le haut de ces controverses, par la non-dualité qui découle naturellement de l’observation ou de l’expérience dualiste, ce que ne semble pas saisir Archambault de Saint-Amand.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce livre qui, voulant alerter sur des contradictions qui nuiraient à la foi chrétienne au sein du RER, ne fait que cristalliser le problème par des positions réductrices et auto-validées.

C’est pourquoi il convient de lire attentivement le propos de Ramón Martí Blanco qui ne fait que renouveler des tensions qui habitent le christianisme au moins depuis le IIème siècle mais cette fois dans le cadre maçonnique, cadre traditionnellement destiné à dépasser l’identification aux formes et aux discours. Le danger, si danger il y a, n’est peut-être pas celui auquel il pense.

 

                                                                           Rémi Boyer