La Grande Profession du Rite Ecossais Rectifié de Ramón Martí Blanco. La Pierre Philosophale Editions, Les Acacias, 17 avenue Eisenhower, 83400 Hyères.
L’ouvrage en langue espagnole de Ramón Martí Blanco, qui fut Grand-Maître du Grand Prieuré d’Hispanie, consacré à la Grande Profession aux Editions Masonica.es, est désormais disponible en langue française. Ce livre, très intéressant, traite des controverses, plus ou moins marquées selon les pays et les époques, qui entourent la place et la fonction de la Grande Profession au sein du Régime ou Rite Ecossais Rectifié.
Ramón Martí Blanco commence par retracer l’histoire du projet de Profession et Grande Profession depuis son fondateur, Jean-Baptiste Willermoz, jusqu’à nos jours, une histoire qui n’aura cessé d’être problématique. Il opte dès les premières pages pour une position hostile à la doctrine de la réintégration de Martinès de Pasqually dont les instructions de la Profession et Grande Profession sont une synthèse trinitaire, mais aussi au gnosticisme, tous les deux accusés d’incompatibilité avec « les dogmes de la foi chrétienne » tels qu’établis par « les conciles successifs du christianisme », principalement « les quatre premiers Conciles de l’Eglise ».
Ramón Martí Blanco rappelle les problèmes, bien réels, qu’engendra le rapport, plus ou moins soutenu, entretenu par les membres du RER avec cette question de la Grande Profession en Espagne. Il pose aussi le problème de la prétendue filiation russe. Remarquons que ces questionnements, légitimes, mais souvent tronqués par l’adhésion étroite à des systèmes de croyance religieuse, ne sont pas qu’une « affaire espagnole », en effet ils ont aussi agité et agitent encore le microcosme du RER, en France notamment.
Ramón Martí Blanco publie les Instructions de la Profession et de la Grande Profession pour en faire une « révision critique » :
« En tant que chrétiens, Dépositaires pour l’Espagne de la Grande Profession et chefs du Régime Ecossais Rectifié, nous ne pouvons pas et n’avons pas hésité devant nos responsabilités. Nos notes de bas de pages sont le fruit du magistère de l’Eglise chrétienne, de ses Pères, du Catéchisme et des Ecritures [la Loi du Maçon, qui précise nos rituels] dont nous sommes inspirés, et en aucun cas de notre cru ou de notre désir particulier. Ainsi, nous avons fait prévaloir la doctrine de l’Eglise chrétienne sur toute autre doctrine dans les « amendements » que nous avons pu apporter. »
A aucun moment ne sont pris en compte la manière dont se sont constitués les Evangiles, ce que les historiens et exégètes spécialisés sur le sujet sont aujourd’hui capables de mettre en grande partie en évidence et notamment les contradictions, les choix très politiques, les tensions, qui n’ont rien de feutrées entre deux pôles, le pôle judéo-chrétien et le pôle pagano-chrétien au sein des textes choisis pour le Canon de l’Eglise. Les contradictions sont au cœur de toute démarche réellement spirituelle, elles pourraient permettre d’éviter toute forme d’adhérence limitante.
Les Instructions sont jugées hérétiques et l’auteur, tout à sa sincérité, met en garde contre leur utilisation. Il ne semble pas observer que la doctrine de la réintégration de Martinès de Pasqually imprègne subtilement l’ensemble du Rite Ecossais Rectifié, non seulement lesdites Instructions. C’est donc le Rite Ecossais Rectifié dans son ensemble qu’il conviendrait de dénoncer comme hérétique. Au lieu de quoi, et c’est bien le projet de Jean-Baptiste Willermoz qui fait dialoguer remarquablement dans le grade de Maître Ecossais de Saint-André la doctrine templariste salomonienne et la doctrine de la réintégration, il serait plus efficace d’explorer les doctrines qui ne sont jamais que des approximations (y compris les Evangiles, par construction) pour en extraire ce qu’elles peuvent livrer de réellement initiatique. En effet, pourquoi un ordre ou un rite initiatique si c’est pour se restreindre aux enseignements dogmatiques de l’Eglise ? Les institutions de l’Eglise ne sont-elles pas suffisantes ?
Pourtant une ouverture existe dans le propos de Ramón Martí Blanco quand il se tourne, très justement mais trop rapidement, vers la kabbale, prenant appui sur la préface de Pascal Gambirasio d’Asseux dont nous apprécions par ailleurs les travaux et la pensée. Mais cette ouverture vers la pensée et la connaissance est vite refermée par la postface d’Archambault de Saint-Amand qui s’emporte, entre autres, contre les thèses gnostiques qui imprègnent dit-il la doctrine de Martinès de Pasqually :
« Ainsi, dit-il, on le voit, rien ne manque dans les instructions de la Profession des erreurs gnostiques. C’est donc à se demander, de façon troublante, si le système conçu par Willermoz, n’a pas pour but de conduire de bons chrétiens, recrutés pour leur croyance en Dieu et leur état de baptisés, qui avancent jusqu’à l’Ordre Intérieur en étant convaincus d’être en accord avec la Foi de leur Eglise, vers la gnose corruptrice des sectes dualistes. C’est à croire que l’objectif visé par le RER est de transformer les baptisés en des adeptes de Basilide, Valentin ou Mani ! »
Nous aurions besoin, contre ceux qui pensent détenir la vérité, et aussi avec eux, d’une véritable démarche de recherche, initiatique si possible, mais déjà simplement au sens le plus profane.
La tradition philosophique juive nous invite à chercher non ce que veulent dire les textes mais ce qu’ils peuvent dire. Nous pouvons sans aucun doute sortir par le haut de ces controverses, par la non-dualité qui découle naturellement de l’observation ou de l’expérience dualiste, ce que ne semble pas saisir Archambault de Saint-Amand.
Il y aurait beaucoup à dire sur ce livre qui, voulant alerter sur des contradictions qui nuiraient à la foi chrétienne au sein du RER, ne fait que cristalliser le problème par des positions réductrices et auto-validées.
C’est pourquoi il convient de lire attentivement le propos de Ramón Martí Blanco qui ne fait que renouveler des tensions qui habitent le christianisme au moins depuis le IIème siècle mais cette fois dans le cadre maçonnique, cadre traditionnellement destiné à dépasser l’identification aux formes et aux discours. Le danger, si danger il y a, n’est peut-être pas celui auquel il pense.
Rémi Boyer