dimanche 31 décembre 2017

Arcanes et rituels de la maçonnerie égyptienne



Arcanes et rituels de la maçonnerie égyptienne de Serge Caillet. Editions Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.

La nouvelle édition revue et augmentée de ce livre de référence sur les rites maçonniques égyptiens était très attendue. Serge Caillet est l’un des meilleurs connaisseurs de ce courant maçonnique et hermétiste complexe. Il dresse ici un état des faits et des incertitudes, celles-ci plus nombreuses que les faits tant les intrications rendent parfois illisibles les sources et les influences. La recherche historique avance mais la reconnaissance des disciplines associées aux rites, théurgies, alchimies et autres, reste difficile. Beaucoup de pistes doivent encore être explorées.




Cette nouvelle édition exploite le fonds Gaborria, absent de la précédente édition, enrichissant ainsi le choix fait par Serge Caillet de rituels significatifs tant sur le plan doctrinal que sur le plan des praxis. Certains viennent du rite de Memphis de Jacques-Etienne Marconis, d’autres du rite de Misraïm. Une partie de l’ouvrage traite des Arcana Arcanorum en certaines de leurs formes. L’analyse des différentes échelles de grades permet de comprendre les choix, pertinents ou non, des directions des divers rites ou ordres. Notons que le rôle des archives dans la vie des ordres initiatiques de manière générale, dans la vie maçonnique plus particulièrement, est ici encore marquant.

Le morcellement que connaissent aujourd’hui les rites maçonniques égyptiens est sans doute excessif et engendrera nécessairement une simplification ou une rectification, cependant Serge Caillet a raison de voir dans l’agitation qui anime couramment ce courant une véritable richesse :
« Cependant, nous dit-il, si les groupes, les cercles et les ordres dépendent des hommes, les rites qui s’y pratiquent ne leur sont point complètement soumis, et posent les bornes d’un temps et d’un espace sacrés où les symboles s’offrent comme véhicules de l’Esprit. Il y a une réalité spirituelle des rites « égyptiens » qui, depuis la seconde moitié du XVIIIème siècle, se trouve manifestée et entretenue par maintes sociétés, du reste pas toute de forme maçonnique.
Alors que les branches multiples du vieil arbre de Memphis-Misraïm verdoient de par le monde plus que jamais, l’unité rituelle, rêvée par les frères belges, pas plus qu’hier, n’est atteinte. Mais la nécessité qu’elle le soit est discutable. La diversité des Arcanes et rituels de la maçonnerie égyptienne ne fait-elle pas au contraire, sa richesse ? »

Serge Caillet présente les rituels d’Apprenti, Compagnon, Maître du Rite de Misraïm et du Rite de memphis, le Tuileur universel des trente-trois premiers grades du Rite de Memphis (1839) et divers hauts grades comme Sage des Pyramides (1860), Sublime Maître du Grand Œuvre (1866), Patriarche Grand Consécrateur, Très Sage Israélite Prince, 70° du Rite de Misraïm, Grand Inspecteur Intendant Régulateur Général, 77° du Rite de Misraïm avant d’ouvrir deux dossiers, celui des Arcanan Arcanorum et celui du Rite des Dames.
Evitant la mixité, dans les pas de Cagliostro, divers rites féminins furent établis dont celui dit de Constant Chevillon ou celui en quatre grades toujours pratiqué au sein du Grand Sanctuaire Adriatique, particulièrement intéressants. Serge Caillet fait le choix ici de publier le très beau rituel de réception d’une maîtresse maçonne égyptienne, probablement rédigé par Constant Chevillon :
« Or, ce très exceptionnel rituel féminin de la maçonnerie égyptienne montre l’un des vrais visages des rites de Memphis-Misraïm que maints hauts grades masculins ne laissent pas nécessairement entrevoir. Il montre que, malgré les erreurs et les errances, les ombres et les falsifications, les bagarres et les bagarreurs, Memphis-Misraïm est un vrai rite initiatique où peuvent se transmettre encore, et pas seulement à des hommes, la haute science et le grand art. 
Ce rituel oublié ne manque pas de beauté.
« La Beauté, dit précisément ce rituel, n’est pas seulement une forme mortelle, elle est faite de bonté, de noblesse, de courage et de sérénité ». »

mercredi 27 décembre 2017

Martinès de Pasqually par Michelle Nahon



Martinès de Pasqually. Un énigmatique franc-maçon théurge du XVIIIème siècle, fondateur de l’Ordre des Elus Coëns par Michelle Nahon. Editions Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.

Les figures de la scène ésotérique restent souvent, et sans doute nécessairement, insaisissables. Comme le rappelait Nietzche, nous aimerions avoir la vérité d’un sujet mais nous n’avons que des évaluations. Toutefois, les regards portés des décennies, voire des siècles plus tard, sur une personnalité, peuvent permettre, en partie, de mieux comprendre son œuvre.



Cette deuxième édition de l’étude précieuse de Michelle Nahon sur l’un des principaux acteurs de l’illuminisme occidental est largement augmentée. Si Martinès de Pasqually demeure à bien des égards mystérieux, cette étude, croisée avec quelques autres apports historiques des deux dernières décennies, permettra de mieux comprendre l’intention et la finalité du projet martinésiste et de ses riches prolongements notamment saint-martiniens et willermozistes.

Grâce à un travail de recherches rigoureux, très systématique, collectif, Michelle Nahon réussit à clarifier de nombreuses zones d’ombre de la vie de ce noble aventurier que fut Martinès. Elle le rend ainsi plus familier, plus accessible aussi.

Si le projet de Martinès de Pasqually emprunte au cadre maçonnique, sa nature est autre, à la fois chevaleresque et sacerdotale, organisée autour d’opérations théurgiques de réintégration aussi complexes qu’exigeantes. Michelle Nahon explore les conditions de la mise en œuvre de ce projet, souvent difficiles, parfois mêmes si chaotiques que nous pouvons nous étonner d’entendre encore parler de Martinès de Pasqually, de ses émules et de la doctrine de la réintégration des êtres particulière aux Elus Coëns, en ce début de XXIème siècle, et sans doute encore pour longtemps, même si cela demeure marginal.
L’ouvrage distingue les années obscures, les années fastes et les années difficiles, une distinction que nous pourrions appliquer à la plupart des grandes figures de la scène ésotérique.
Les années obscures correspondent à l’enfance, le début de vie active dans l’armée et les débuts de Martinès de Pasqually dans la carrière maçonnique avec la question très discutée de la charte reçue de son père. Les années fastes débutent avec son arrivée à Bordeaux où il séjourna une dizaine d’années et jeta les bases de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers dans un contexte maçonnique agité. Cela ne se fait pas sans difficultés, Martinès de Pasqually se montre souvent convaincant, son projet rencontre l’intérêt mais son organisation demeure confuse. Les années difficiles débutent par la maladie de Martinès de Pasqually et se poursuivent avec son départ pour Saint Domingue. Tensions, incompréhensions entre les hommes, aspects financiers interfèrent avec le projet martinésiste malgré le soutien de Louis-Claude de Saint-Martin qui quitte l’armée et se consacre à l’Ordre.

Michelle Nahon évalue favorablement, malgré les obstacles, le rôle des Elus Coëns :

« L’ordre de Martinès est resté en sommeil et son fils ne l’a pas remis en activité mais ce n’est pas pour autant que sont perdus tout ce travail, tout cet enseignement et tous ces textes. Le maître a su apporter à ses émules une formation solide, critique, éthique, avec des bases de réflexion quasi philosophique et une forme d’ésotérisme chrétien qui vont leur permettre d’avoir un rôle important dans l’évolution de la Franc-maçonnerie et de l’illuminisme. A cette formation théorique, il a ajouté des techniques qui leur ont permis d’être dans une certaine réceptivité et de développer une capacité à se mettre à distance des événements et des idées reçues. »

Cette nouvelle édition est enrichie par plusieurs découvertes et informations nouvelles notamment sur la fameuse patente retrouvée à Minsk en Biélorussie mais aussi sur les activités d’une Loge du Saint Esprit fondé à Bordeaux en 1770. Plusieurs manuscrits du Traité de la Réintégration des êtres ont été retrouvés ainsi qu’un rituel d’équinoxe presque complet. Parmi les outils mis à disposition du lecteur, se trouve une très utile chronologie fortement détaillée.
Le travail de Michelle Nahon précise nombre de détails de la vie de Martinès de Pasqually et l’apport historique de ce livre est indéniable même si nous pouvons espérer des recherches futures des réponses, sans doute partielles, aux nombreuses interrogations qui demeurent.

dimanche 17 décembre 2017

RER : La correspondance maçonnique échangée par Jean-Baptiste Willermoz et Claude-François Achard



La correspondance maçonnique échangée par Jean-Baptiste Willermoz et Claude-François Achard de Jacques Rondat. Deux tomes aux Editions de La Tarente, Mas Irisia, Chemin des Ravau, 13400 Aubagne.
Jean-Baptiste Willermoz développa tout au long de sa vie une grande activité épistolaire. L’ensemble de cette correspondance reste à rassembler et devra donner lieu dans le futur à une analyse approfondie et probablement passionnante.

Le remarquable travail de Jacques Rondat est circonscrit à la correspondance de Jean-Baptiste Willermoz avec Claude-François Achard à une époque où le Régime Ecossais Rectifié est moribond. C’est l’occasion pour Willermoz de relancer son projet dans le Sud-Est de la France qui restera une « terre rectifiée ». Le premier des deux tomes que nous offre l’auteur est justement intitulé Un cours de maçonnerie rectifiée. En effet, tout au long de cette correspondance, Willermoz délivre une série de consignes, explicitées sur le fond, visant la mise en œuvre du rite dans toutes ses dimensions, formelles et implicites. Ce travail fait écho à celui de Loïc Montanella consacré à La naissance de la province d’Auvergne du régime rectifié, d’après la correspondance de Jean-Baptiste Willermoz (17772 – 1775), publié chez le même éditeur, qui prenait notamment appui sur une autre correspondance de Willermoz avec, cette fois, le baron von Weiler. Ces correspondances permettent de comprendre les procès à l’œuvre dans la mise en œuvre d’un projet idéal dans le quotidien, toujours troublé, des êtres humains.



Le choix méthodologique de l’auteur, associant l’analyse et le commentaire directement au passage de la correspondance étudié, permet d’éviter des interprétations trop éloignées du contexte. Par ailleurs, le lecteur peut retrouver l’ensemble de la correspondance transcrite dans le second volume pour une lecture au long cours. L’étude de la correspondance obéit à un choix thématique en trois grandes parties : doctrine et symbolisme – organisation et administration du Régime rectifié – vie professionnelle, privée et familiale de Willermoz. 

Le premier thème permet par exemple de découvrir l’évolution de la pensée de Jean-Baptiste Willermoz à propos du magnétisme animal ou ses rapports avec l’ésotérisme ou la religion chrétienne catholique. Nous y trouvons aussi la question, très importante, de l’arithmologie du Régime rectifié, mais peu développée ici. Les relations entretenues avec Louis-Claude de Saint-Martin apparaissent à travers l’influence du livre de ce dernier, Des erreurs et de la vérité, dans la pensée willermozienne. Willermoz admirait Saint-Martin et cet ouvrage majeur du Philosophe inconnu fut publié à l’époque des célèbres « Leçons de Lyon » données aux émules lyonnais de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers par Willermoz, d’Hauterive et Saint-Martin. Les thèmes développés par Saint-Martin dans Des erreurs et de la vérité furent au cœur des échanges. On notera que les livres du Philosophe inconnu ont du vivant de Willermoz une influence importante dans les loges rectifiées sans être pour autant conseillés à l’étude par la direction du régime, influence que regrette Willermoz en raison de l’extrême complexité de la pensée saint-martinienne et des mauvaises interprétations qui s’en suivent.

C’est sans doute le deuxième thème retenu, celui de l’organisation et de l’administration du Régime rectifié qui est le plus intéressant, sur l’apparition et l’histoire du Régime, sur le rôle du Directoire, sur la pensée et les instructions de Willermoz, entre autres. Willermoz dresse une typologie très lucide des membres d’une loge (typologie qui vaut pour toute organisation à prétention initiatique) :

« Les uns, et en petit nombre sont des aigles en intelligence, mais dont souvent le cœur est froid ; d’autres sont des âmes douces et sensibles, mais dont les ailes courtes ne peuvent pas s’élever bien haut ; d’autres encore avec un ensemble de vertus et de qualités sociales qui les rendent chers à ceux qui les connaissent, paraissent apathiques pour les choses de l’Ordre et semblent n’attendre qu’un véhicule de sa part pour les tirer de cette léthargie ; d’autres enfin présomptueux, aimant à diriger et à dominer, quelques fois même intrigant, comme je l’ai vu trop souvent, pour assurer leur domination n’ont souvent aucun mérite essentiel que celui de leur assiduité aux travaux et délibérations de la loge, qu’ils veulent faire prendre pour du zèle. »

L’antidote demeure le travail et encore le travail, selon un ordre précis d’instruction, et une invitation à être soi-même et à laisser le cœur parler : « ce ne sont pas des discours fleuris et recherchés que l’on vous demande : c’est l’exposition simple et naïve de vos pensées sur telle ou telle partie de l’instruction que vous avez reçue, afin que vos Frères et vos supérieurs puissent connaître si elle est tombée sur un fonds mort ou vivant. ».

Toutes les instructions de Willermoz, ses conseils, visent à faire d’une loge une véritable école de sagesse et de recherche. Inlassablement, il aura fait de la rectification un art initiatique permanent et un mode de vie. Ce témoignage important contribue, au-delà de la compréhension du Régime Ecossais Rectifié, à la connaissance du procès initiatique, à ses exigences, à son orientation, à sa finalité.