Les
Sârs de la Rose-Croix de Serge
Caillet. Editions La Tarente, Mas
Irisia, Chemin des Ravau, 13400 Aubagne.
https://latarente.fr/
La
première étude publiée par Serge Caillet sur le sujet date des années 1980.
Cette nouvelle édition, très largement augmentée, doit être considérée comme un
nouveau livre tant les apports nouveaux sont nombreux, ce qui se traduit dans
le titre, nous sommes passés des « Sârs de la FUDOSI » aux « Sârs
de la Rose-Croix » et d’un sujet restreint à un sujet plus vaste qui est
le rosicrucianisme. L’enjeu n’est pas seulement historique mais concerne la nature
et la finalité de ces mouvements :
« Il
est vrai, nous dit Serge Caillet, que la question des origines historiques, et
des filiations qu’elles impliquent ou réfutent, embarrasse souvent, quand elle ne
la travestit pas, l’historiographie des sociétés réputées secrètes. Or, si ces questions
sont légitimes pour l’historien, elles ne le sont pas moins pour les hommes et
les femmes de désir que séduisent ou appellent les voies initiatiques que
perpétuent ou incarnent aujourd’hui maintes écoles, sous l’étendard de la
Rose-Croix. Raison de plus de les poser sans crainte, avec le double souci,
autant que faire se peut, de distinguer la fable de l’histoire, sans nous départir
jamais d’une réflexion philosophique ou théosophique qui, par nature, les
éclaire l’une et l’autre, parce qu’elle les transcende. »
Serge
Caillet a conservé avec raison la préface de Robert Amadou à la première
édition, non seulement en raison des deux pièces originales, inédites à l’époque,
annexées à la préface mais en raison de son orientation. C’est une compréhension
de la scène ésotérique européenne et occidentale que permet l’analyse des
fonctionnements et dysfonctionnements des deux fédérations d’ordres
initiatiques de l’époque, la FUDOSI et la FUDOSFI rivale. Le lecteur ne peut
que constater que les finalités initiatiques sont rapidement submergées par les
querelles personnelles et les jeux égotiques. Elles n’en demeurent pas moins
toujours présentes.
C’est
bien de personnes dont il est question avant tout. Serge Caillet nous présente
les acteurs principaux des organisations initiatiques qui ont animé peu ou prou
cette scène ésotérique si agitée dans les premières décennies du XXème siècle.
Les Dantinne, Mallinger, Péladan, Lewis, Papus, Guaita, Sémélas, Dupré et
autres conduisirent les destinées de l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix, des
Frères d’Orient, de l’Ordre du Lys et de l’Aigle, de la Fraternité des
Polaires, de l’AMORC, des ordres pythagoriciens, etc.
Serge
Caillet débute son enquête avec Louis de Lapasse, « le Rose-Croix malgré
lui » et la prétendue Rose-Croix toulousaine, un mythe qui fonde, entre
autres, l’AMORC. L’intérêt des recherches présentées dans ces pages est le lien
établi avec Palerme et un Prince féru d’hermétisme dont nous ignorons l’identité.
Ceci nous rapproche des célèbres écoles d’hermétisme du Sud de l’Italie dont l’influence
perdure. Serge Caillet élimine certaines hypothèses et en permet de nouvelles.
C’est d’ailleurs le grand mérite de cet ouvrage qui clarifie nombre de points
obscurs sans bien entendu répondre à toutes les questions légitimes qui se
posent. Ainsi va la recherche historique.
Les
portraits des protagonistes dressés par Serge Caillet, les comptes-rendus les
plus précis possibles, documentés, rendent particulièrement vivant le milieu
occultiste et initiatique de cette époque haute en couleurs. Mais, il convient
de ne pas s’arrêter à ces figures, souvent attachantes, ou à l’événementiel
pour tenter de saisir les caractéristiques d’un courant, d’une aspiration, d’une
volonté également de transcendance et d’accomplissement. Ces « hommes de
désir », pris dans la tourmente de leur siècle, et dans la complexité de
leurs propres organisations, sont pour la plupart, parfois maladroitement,
réellement en quête.
A
la fin de son étude, Serge Caillet interroge : « Quel héritage ?
Quels héritiers ? ». Il fait le point sur les survivances
organisationnelles et conclut : « Dans sa diversité multiforme qui
compose aujourd’hui pour partie le paysage arc-en-ciel des sociétés initiatiques
modernes, immense est l’héritage des sârs de la Rose-Croix. ».
La
lecture de ce livre permet, derrière les histoires personnelles, les alliances
et les conflits, de distinguer un mouvement, culturel sans aucun doute,
philosophique et théosophique, parfois pleinement initiatique, un désir de
sagesse et de réalisation, un processus bien vivant qui sait se renouveler et
se nourrir de ses échecs. Il invite tout un chacun désireux de s’engager dans
ce mouvement certes protéiforme mais orienté vers une même finalité à ne pas
confondre ordre initiatique et voie initiatique, à établir un rapport ajusté
avec l’organisation, faite de lucidité et de compréhension de la fonction des mythes,
pour se lancer dans la plus belle des aventures qui soit, la conquête de sa
propre liberté.
Le
dossier des « Sârs » n’est pas clôt. Dans les prochaines années et
décennies, des archives vont changer de mains et devenir ouvertes. De nouvelles
investigations et recherches permettront de mieux connaître ces premiers temps du
siècle dernier, devenus mythiques aux yeux de beaucoup, qui conditionnent et justifient
largement la scène ésotérique occidentale actuelle et sans doute à venir.