mardi 1 octobre 2024

Robert Ambelain

 

Robert Ambelain, le théosophe clandestin

Serge Caillet

Edition La Tarente, Mas Irisia, Chemin des Ravau, 13400 Aubagne –  https://latarente.fr/

Trop souvent, nous entendons des jugements à l’emporte-pièce à l’encontre de Robert Ambelain, y compris de la part de personnes qui se présentent comme historiens, ce qui traduit une méconnaissance de la véritable nature de la scène ésotérique et de ses mouvements. Ce livre permettra à chacun de mieux comprendre l’homme, complexe, et ses actions, souvent déterminantes, pour préserver certains courants traditionnels occidentaux.

 


 

 

« A la charnière des amis de Papus et d’une troisième génération de Compagnons de la Hiérophanie, qui lui doit beaucoup, la carrière et l’œuvre de Robert Ambelain sont tout à fait exceptionnelles, annonce Serge Caillet. Travailleur infatigable, continuateur des rénovateurs de l’occultisme de la Belle Epoque et des maîtres de l’illuminisme du siècle des lumières, héritier aussi des grands ancêtres de la race des Cornelius Agrippa, des Jean Trithème et des Abramelin, ce « meneurs d’extravagants » a maintenu leur héritage, à sa façon singulière et efficace, dans les écoles mystériques qu’il a restaurées, y compris et d’abord dans la clandestinité, avant leur retour en pleine lumière, de la Rose-Croix, du martinisme, des chevaliers maçons élus coëns, de l’Eglise gnostique et des rites occultistes de la franc-maçonnerie, particulièrement de Memphis-Misraïm. »

Serge Caillet souligne, et c’est de première importance, la dimension libertaire de l’œuvre de Robert Ambelain qui ne se laissa jamais inféoder. C’est un véritable questeur, ce qui est rare, un praticien exigeant des disciplines traditionnelles, principalement l’astrologie, la géomancie, la théurgie, n’hésitant pas à remettre en question ses propres travaux quand ils lui semblent finalement invalides. C’est aussi un guerrier, un guerrier de l’esprit et un guerrier tout court comme il l’a démontré pendant l’occupation nazie, maintenant en activité quelques sociétés initiatiques devenues clandestines.

Le portrait dressé par Serge Caillet est très étayé et particulièrement lucide. Robert Ambelain a parfois développé des thèses ou des positions intenables. Avec le recul de quelques décennies, l’œuvre visible, riche de sa diversité, apparaît parfois pleine de contradictions ou de contre-sens, pourtant tous ceux qui l’ont approché, reconnaissent en Robert Ambelain une figure majeure du monde initiatique du siècle dernier, non en raison de ses écrits mais en raison de ce qu’il fut, de ce qu’il réussit à établir et valider par la pratique des sciences traditionnelles. Il avait un sens très aigu de l’élaboration et de la mise en œuvre des rituels. Il fut sans aucun doute un véritable théurge quitte parfois à s’engager sur des sentiers épineux.

Parce que Robert Ambelain connut à peu près tous ceux qui comptèrent au sein de la scène ésotérique et occultiste de son époque, ce livre n’est pas qu’un ouvrage sur le personnage, c’est aussi une contribution à la compréhension des évolutions, des réussites et des crises qui justifient cette scène si sensible aux contextes historiques et culturels traversés. C’est aussi, pour ceux qui savent la nature des voies initiatiques, une opportunité de saisir quelques parcours, certes sinueux, déroutants parfois, mais finalement porteurs d’accomplissement.

Serge Caillet cherche et réussit à clarifier certains moments, certains choix, la nature de certains dépôts, le rôle des uns ou des autres, concernant le martinisme du siècle dernier, la résurgence de l’Ordre des Chevaliers maçons élus coëns de l’univers, la Rose-Croix d’Orient, l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix, l’Eglise gnostique, et bien sûr les rites maçonniques de Memphis et Misraïm. Il prolonge ainsi son remarquable travail sur Les Sârs de la Rose-Croix, publié en 2022 chez le même éditeur et nous permet de mieux comprendre une actualité initiatique et ésotérique certes discrète mais prégnante.

samedi 21 septembre 2024

Elus Coëns : La Table des 2400 noms

 La Table des 2400 noms

Un travail de Georges Courts. Préface de Thierry-Emmanuel Garnier

Editions Arqa – https://editions-arqa.com/

En 2019, Georges Courts a découvert, avec bonheur, dans la librairie parisienne Florence de Chastenay, un manuscrit d’exception du XVIIIe siècle, de très bonne qualité nous dit-il, de la Table des 2400 noms (on parle aussi de Registre) qui sert à la mise en œuvre des opérations théurgiques de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers. Ce manuscrit serait selon Thierry-Emmanuel Garnier et Georges Courts antérieur à celui de Prunelle de Lière, conservé à la Bibliothèque de Grenoble, référence jusqu’alors.

 


 

Les précédentes éditions proposées par Robert Amadou du manuscrit de Grenoble, d’abord chez Cariscript en 1984, celle de Bélisane en 1987, puis celle, plus étoffée, en 2001, sous le titre Les Angéliques, du CIREM, Centre International de Recherches et d’Etudes Martinistes, sont toutes épuisées. Les intéressés, peu nombreux en réalité, utilisent depuis des photocopies ou des versions numériques de ces éditions passées. Cette nouvelle édition en fac-similé aurait pu venir compléter, peut-être couronner, un ensemble indispensable à la pratique. En effet, ces éditions sont avant tout faites pour l’usage, les Tables sont inutiles à ceux qui ne pratiquent pas sérieusement la théurgie coën. Restent les collectionneurs, peu nombreux également…

Malgré une très belle couverture rouge et or, pour l’édition dite de « grand luxe », l'ouvrage est composé essentiellement de 150 pages de copies de piètre qualité, beaucoup de mots étant illisibles comme certains caractères et hiéroglyphes. Une transcription est proposée à part mais sans les signatures, par conséquent d'un usage fort peu pratique. Par ailleurs, on apprend dans une note, qu'une édition plus complète, construite à partir de la confrontation des manuscrits de Grenoble et de Metz, est en préparation « avec la totalité des noms des angélies, des glyphes, etc., composant la « Table des 2400 noms ». A quoi bon celle-ci ?

Nous attendrons donc avec intérêt ce second volume qui ne reprendra pas le fac-similé. Notons que quelles que soient la qualité et la rigueur du travail de Georges Courts, l’absence de reproductions correctes du manuscrit restera préjudiciable. En effet, il ne sera pas possible d’interroger les choix, il y en aura nécessairement, faits par Georges Courts dans cette exégèse.

Contacté, Thierry-Emmanuel Garnier, directeur des éditions Arqa et artisan de cette publication, trouve son édition très réussie. Dans une préface trop exaltée, il semble ignorer l'édition du CIREM de 2001, plus complète que les précédentes, argumentée par Robert Amadou et, malgré une fabrication très artisanale, très lisible et utilisée de façon privilégiée par les opérants depuis plus de deux décennies. Il semble donc un peu tôt pour annoncer maladroitement comme il le fait que le travail de Robert Amadou est "périmé" ou "à réformer".

Cette découverte, importante, aurait dû se transformer en un très beau projet d’édition, c'est pour le moment un beau gâchis. Il faut souhaiter que le deuxième volume annoncé pour 2015 soit cette fois à la hauteur.

vendredi 29 mars 2024

Des Elus Coëns au Rite Ecossais Rectifié. Classes secrètes et Réintégration

 

Des Elus Coëns au Rite Ecossais Rectifié. Classes secrètes et Réintégration Textes de Rémi Boyer et Lima de Freitas

Préface de Sylvie Boyer-Camax

Editions La Tarente, Mas Irisia, Chemin des Ravau, 13400 Aubagne –  https://latarente.fr/

Les trois contributions qui sont rassemblées ici, les deux premières de Rémi Boyer, la troisième de Lima de Freitas, cherchent à interroger, explorer et traverser les praxis véhiculées par les traditions de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers et du Rite Ecossais Rectifié, deux expressions majeures du courant illuministe désigné par Robert Amadou comme « martinisme », et plus largement de la Tradition occidentale marquée par le sceau du judéo-christianisme.

 


 

Le premier de ces trois textes traite d’une mise en œuvre de la théurgie des Réau-Croix voulue par Robert Amadou dans la dernière décennie du deuxième millénaire en réponse à l’état, considéré déficitaire, de la scène initiatique en général dans sa capacité de réconciliation et de réintégration. La réalisation de ce projet a permis d’évaluer au plus près les possibilités offertes par le Culte Primitif proposé par Martines de Pasqually à ses émules.

Le deuxième texte réfléchit sur l’essence du Régime ou Rite Ecossais Rectifié à travers le grade central de Maître Ecossais de Saint-André, écrin pour un concentré exceptionnel de mythèmes à même de répondre aux exigences et aux attentes de la classe secrète des Profès et Grands Profès, dont la fonction réelle ne fut jamais pleinement établie concrètement par Jean-Baptiste Willermoz. Plus de deux siècles après, alors que le Rite Ecossais Rectifié est florissant, dans un monde fort différent de celui qui l’a vu se construire, que les exégèses se multiplient, porter le regard sur ce que ce rite préserve, conserve, offre, sur le plan opératif paraît très nécessaire.

Le troisième texte est de la plume de Lima de Freitas (1927-1998), artiste majeur de la seconde partie du dernier siècle, l’un des grands penseurs du Sébastianisme, et hermétiste de haut vol qui a su se saisir des arcanes pour les réaliser. Le sujet traité, le Feu et le Nombre 515, « la Clef de Dante », n’est pas spécifique au courant illuministe mais imprègne la Tradition occidentale et au-delà. Ce Franc-maçon, Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte au Rite Ecossais Rectifié du Grand Prieuré de Lusitanie, alors sous la direction avisée de José Anes, s’est affirmé comme un maître hermétiste et illuministe de premier plan dont l’enseignement réside pour l’essentiel dans ses peintures, mais aussi dans quelques textes puissants. Le Feu du Ciel est un texte fondamental, rédigé pour la Pentecôte en 1992, qui vient renforcer et étendre la portée initiale, déjà d’une grande puissance, de son ouvrage indispensable 515, le lieu du miroir[1]. Il reprend notamment nombre de points clés identifiés lors de ses échanges épistolaires avec Gilbert Durand. De cette « correspondance imaginale » vont en effet jaillir des révélations aux portées cosmogoniques et alchimiques considérables. Plus encore, Le Feu du Ciel, porte des clés initiatiques nombreuses, universelles, qui font lien entre les enseignements traditionnels que nous avons porté ces vingt dernières années, particulièrement dans le domaine des alchimies internes et des théurgies, que celles-ci empruntent les habits de l’Occident ou ceux de l’Orient.

Les trois textes nourriciers de cet ouvrage se complètent et s’harmonisent remarquablement. Ils sont donnés comme des pistes de réflexion, de méditation, de maturation à tous ceux qui veulent bien écouter et entendre, s’ouvrir à plus grand et à plus haut sens. Ils ne reflètent probablement qu’un aspect de la Réalité, car qui sommes-nous ici pour prétendre détenir la Vérité ? Mais ils peuvent dire beaucoup à ceux qui se laissent infuser et qui lisent avec leur Cœur. Ils pourront alors leur faire pressentir l’Absolu, la liberté de l’Absolu. Tout est affaire de regard, de prise de conscience, d’attention à ce qui est, de présence.



[1] 515, le lieu de miroir de Lima de Freitas, éd. Albin, Michel, Paris, 1993.

Renaissance Traditionnelle et Cahiers de Saint-Martin

 

Renaissance Traditionnelle n° 206, juillet-décembre 2023.

R.T. BP 161, 92113 Clichy cedex

www.renaissance-traditionnelle.com

Dans une nouvelle formule, Renaissance Traditionnelle, inaugure un prometteur cahier central intitulé Cahiers de Saint-Martin, en hommage à la revue du même nom publié dans les années 70-80 par Robert Amadou et Antoine Faivre. La direction de ce supplément a été confié à Dominique Clairembault qui signe la presque totalité des articles proposés.

Il s’intéresse tout d’abord à Louis-Claude de Saint-Martin, traducteur de Jacob Boehme dont nous savons toute l’importance dans le cheminement de Saint-Martin vers l’interne. Dominique Clairembault rend compte dans le détail de l’aventure de ses traductions de Boehme en s’appuyant sur la riche correspondance de Saint-Martin avec Louis-Nicolas Kirchberger.

C’est par Rodolphe Saltzmann et Charlotte de Boecklin que Saint-Martin s’intéressa profondément à l’œuvre de Boehme. Dominique Clairembault restitue avec brio les étapes qui vont conduire Saint-Martin à s’investir pleinement dans l’œuvre de traduction, soulignant au passage le sens de la langue du Philosophe Inconnu. Les traductions sont considérées comme excellentes et certaines personnalités comme D.W.A. Schickedanz trouvait « plus commode de se servir à côté du texte original de la traduction française dont la langue est de la même pureté et beauté que les autres écrits de Saint-Martin. »

Remarquons toutefois à ce sujet qu’en ce qui concerne les passages de l’œuvre de Boehme consacrés à l’alchimie, ou de dimension alchimique, mieux vaut prendre l’original, seul à même de véhiculer le langage hermétique, d’autant que Saint-Martin ignorait l’alchimie.

 


 

 

Dominique Clairembault, dans un autre article, revient sur les quatre portraits bien connus de Saint-Martin au XVIIIe siècle et introduit ainsi l’article de Roger Dachez sur un éventuel portrait de Louis-Claude de Saint-Martin découvert fortuitement. Roger Dachez liste les arguments en faveur d’un portrait, d’ailleurs superbe, du Philosophe Inconnu. La comparaison avancée par Roger Dachez entre ledit portrait, de face, et celui de profil réalisé en 1795 au physionotrace, ne résiste pas à une observation même superficielle. D’autres arguments permettent au contraire de poser au moins l’hypothèse. A suivre peut-être.

Roger Dachez présente, toujours dans le cadre du Cahier, une Bibliographie du martinisme, publiée en 1939, par Gerard van Rijnberk (1875-1953) sous le pseudonyme de G. de Chateaurhin. Cette brochure, tout à fait intéressante, replacée ici dans son contexte historique, est proposée en fac-similé. Elle fut publiée par Derain-Raclet à Lyon en 400 exemplaires, ce qui pour l’époque et pour une simple bibliographie, est un nombre conséquent. « En effet, nous dit Roger Dachez, il rend compte, d’une part, de l’état des études martinistes avant la guerre, et d’autre part il nous renseigne sur les équivoques que suscitait encore le terme « martinisme ». Certaines d’entre elles, du reste, n’ont pas disparu. »