L’Eglise et le sacerdoce selon
Louis-Claude de Saint-Martin de Jean-Marc Vivenza, Editions La Pierre Philosophale.
C’est
un travail considérable que nous propose Jean-Marc Vivenza, peut-être le
meilleur, tout au moins le plus nécessaire, du côté des traditions occidentales
et de cet illuminisme qu’il défend depuis des années, parfois même avec
véhémence.
Il
y a deux livres en un, qui se distinguent d’ailleurs physiquement, l’un se
trouvant en dessous de l’autre, page après page, dans un appareil de notes
impressionnant.
Le
premier livre éclaire la conception et l’expérience du sacerdoce chez
Louis-Claude de Saint-Martin d’après les écrits du Philosophe Inconnu. Le
second livre consiste en un commentaire érudit et personnel de l’auteur sur ce
sacerdoce interne, finalité de la queste chrétienne. Les deux ouvrages sont
dignes d’intérêt. Leur juxtaposition donne à penser. Nous connaissons tous, le
lieu intellectuel et spirituel, souvent origèniste mais pas seulement, d’où
écrit Jean-Marc Vivenza, à travers l’ensemble de ses livres et à travers les
très nombreux blogs qu’il anime sur la toile. Si nous ne le suivons pas
toujours, notamment sur ses condamnations excessives et passionnées de la
théurgie, simple temps, ni obligatoire, ni nécessaire mais parfois utile comme
toute forme, dans un procès initiatique qui conduit au dépouillement et au sans
forme, nous reconnaissons l’apport qu’il réalise au courant illuministe qui,
disons-le, se porte plutôt bien de nos jours, dans ses constances et dans ses
éclats.
Nous
le savons, Louis-Claude de Saint-Martin est un être d’exception par ses écrits
certes, plus encore par sa vie. Il a vécu en théosophe. Jean-Marc Vivenza nous
rappelle la place essentielle qui est la sienne au sein du courant illuministe :
« Le
Philosophe Inconnu fut pénétré, apparemment avec une réelle constance, d’une
vision singulièrement originale, vision certes nourrie par ses propres analyses
qu’il eut largement le temps de méditer depuis sa première initiation à
Bordeaux, et d’exposer en différentes occasions, mais également,
significativement inspirée par une volonté de retour à un christianisme purifié
et authentique. Et, à cet égard, Saint-Martin, à la suite de Pasqually (+
1774), Nicolas Antoine Kirchberger, Karl von Eckhartshausen (1752-1803),
Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) et bien d’autres encore, est le pur
héritier, à divers titres de ce courant invisible présent depuis des siècles au
sein du christianisme, et ce dans l’acception de sa vocation johannique,
silencieuse, discrète et réservée, qui, de par sa secrète et intérieure
présence, est en sympathie avec les multiples tendances prônant une relation
directe avec les régions célestes, un cœur à cœur immédiat et intraduisible
entre l’homme et Dieu, cœur à cœur que l’on peut définir, sans forcer les
règles de la rigueur terminologique, comme étant de nature « ésotérique »,
c’est-à-dire voilé et inconnu du plus grand nombre… »
Il
existe chez Saint-Martin une voie directe qui passe par l’affranchissement des
dogmes, des enseignements, des organisations, des formes et des considérations
de toute nature, une Sagesse :
« Cette
« Sagesse », précise Jean-Marc Vivenza, que le Philosophe Inconnu
avait nommée « Sainte Sophie »,
celle qui fait de chacun d’entre nous des « amis de Dieu », se
dévoile dans l’interne, dans le cœur de l’homme, là où elle enfante en ce
centre mystique, et il l’est de par sa relation au mystère, le Verbe. On
comprend donc l’importance de se recentrer sur cette « région »
essentielle, d’où prend sa source et son développement, la voie d’union avec le
Ciel, car c’est là, en ces domaines éclairés seulement par la lumière incréée,
que l’âme réalise son union avec le divin, et célèbre, loin des formes et des
cérémonies externes, le culte de l’Eternelle Alliance. »
Jean-Marc
Vivenza met en évidence les principes qui véhiculent cette Sophia. Si « Le
sacerdoce réel est en relation avec le Culte invisible » pour
Saint-Martin, cela s’accompagne d’une « constante critique du sacerdoce
visible ». Il y a chez Saint-Martin « une théologie de la grâce »
qui prend tout son sens quand l’homme se trouve, consciemment, face à « deux
abîmes : d’un côté l’abîme de la miséricorde,
de l’autre l’abîme du péché ». En
effet, « la grâce divine opère l’œuvre de régénération de l’âme. (…) L’homme
doit naître, ou plus exactement renaître en grâce, il doit être
transformé, et surtout, et en premier lieu, se laisser renouveler et purifier par
la grâce… ». Il existe pour Saint-Martin, une doctrine intérieure vivante, à
laquelle les ministres de l’Eglise n’ont plus accès, qui ne peut être énoncée,
puisqu’elle relève exclusivement de l’interne et de l’intime, mais dont on peut
témoigner. Là réside le christianisme originel. Cette « doctrine occulte »
est notamment inscrite, en creux, dans certains passages obscurs de l’Ecriture.
Ceux qui peuvent, savent, accéder à cette dimension interne constituent l’Eglise
intérieure, informelle, et participent au véritable sacerdoce. Sévère envers l’Eglise
visible, Saint-Martin n’aura de cesse d’appeler au « Ministère de l’homme-esprit »,
un ministère libre, réponse à « une magnifique invitation faite à l’homme,
de vivre dans l’intime communion de Dieu et du ciel ».
Après
avoir mis en évidence « les cinq dégradations successives de l’Eglise »,
Jean-Marc Vivenza caractérise, autant que faire se peut, « l’Eglise
intérieure ou la communauté de la lumière ».
Elle est « fondée », ce qui peut surprendre, par la Parole, qui
résonne dans le cœur de l’homme, selon une « opération de l’Esprit ».
« L’Eglise intérieure forme la communauté des âmes régénérées en Christ, la
« communauté de la lumière »,
selon l’expression que Karl von Eckhartshausen (1752-1803) emploie dans La Nuée sur le sanctuaire (…) c’est
cette Eglise qui avait été annoncée par le Christ, c’est cette assemblée qui s’était
cachée et préservée en son cœur évidemment, dans laquelle se trouvent
conservées la vraie religion, la pratique du culte et les connaissances
mystérieuses réservées aux élus de l’Eternel. »
Remarquons
ici la parenté de pensée entre Saint-Martin et Swedenborg, le savant et voyant
suédois, dont la Nouvelle Eglise (qui n’était pas destinée dans sa pensée à
devenir une organisation) évoque bien l’Eglise intérieure.
Nous
avons, dit Jean-Marc Vivenza, à enfanter cette Eglise intérieure, « Eglise
selon l’Esprit », dans la continuité du sacerdoce primitif, par un pur
abandon. Il s’agit de laisser libre la place et nous retrouvons ici certains
présupposés des voies du Corps de Gloire. Nous sommes bien aux fondements de la
Tradition quand l’auteur insiste sur « cette possible régénération
accomplie dès maintenant, non dans un état qui doit succéder à la mort, mais à
chaque heure de notre vie présente ». L’eucharistie est donc intérieure,
tout comme le baptême, « baptême de régénération reçu intérieurement,
uniquement par le biais du compagnon fidèle, de l’ami angélique, qui nous
accompagne dans notre chemin en ce monde ».
Cet
imposant travail (plus de 500 pages) est une opportunité pour tous ceux qui
cherchent cette voie directe saint-martinienne, caractéristique du
christianisme primitif, de l’approcher comme « un sacerdoce spirituel
selon l’esprit du christianisme ».
Editions La Pierre Philosophale, C3 Les
Acacias, 17 avenue Eisenhower, 83400 Hyères, France.