Du figurisme à l’illuminisme de Gérard Gendet. Editions La Tarente, Mas Irisia, Chemin des Ravau, 13400 Aubagne.
Gérard Gendet nous offre un essai très complet sur un aspect peu connu de la doctrine de la réintégration des êtres de Martinès de Pasqually, fondateur de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers.
Ce travail est le fruit des longues recherches conduites par Gérard Gendet sous la direction de Jean-Pierre Brach dans le cadre de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. C’est donc un travail universitaire très abouti.
Le fameux Traité de la Réintégration des êtres dans leurs premières propriétés, vertus et puissances spirituelles divines, c’est le titre complet, fut à l’origine l’instruction destinée aux Réau-Croix, dernier grade du système sacerdotal de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers. Ce traité complexe prend tout son sens par la pratique des grandes opérations théurgiques de réintégration conduites par lesdits Réau-Croix.
Le personnage de Martinès de Pasqually demeure une énigme, malgré les nombreuses recherches historiques à son sujet. Pour une part, il en est de même pour sa doctrine même si Robert Amadou et Serge Caillet, notamment, l’ont grandement éclairée par leurs travaux. Un grand intérêt de ce livre est de faire le point sur les recherches et les publications au sujet de cette « aventure » traditionnelle et initiatique qui échappe aux catégorisations, de questionner et d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion.
Après avoir détaillé le contexte historique dans lequel Martinès de Pasqually est conduit à faire cette proposition théurgique audacieuse qu’est le système Coën, Gérard Gendet tente de cerner la genèse et la matière, ou les matières, du Traité avant d’en venir au cœur de son sujet, le figurisme, et son influence possible sur la doctrine de Martinès de Pasqually. Le figurisme est un produit de l’affaiblissement du sens allégorique et des querelles violentes nées entre autres du jansénisme, un courant qui renaît de ses cendres au début du XVIIIe siècle pour bousculer l’interprétation des Ecritures.
« Une partie d’entre eux, sous l’appellation de « figurisme », va pousser la notion d’exégèse allégorique dans ses derniers retranchements en « consacrant l’association entre allégorisme et délire interprétatif ». » précise Gérard Gendet.
« Au sens large, poursuit-il, le figurisme est une forme d’exégèse qui regarde l’Ancien Testament comme la figure du Nouveau. Certains passages du Nouveau Testament vont dans ce sens. De tout temps, il y a eu des interprètes pour accepter le sens figuré, selon lequel l’ancienne Loi serait entièrement figurative (l’omnia in figura paulinien). »
Ce mouvement aurait pu rester confidentiel. Tout au contraire, il exerça une influence certaine et généra querelles, crises et condamnations, jusqu’à impacter, par réaction contre l’exégèse allégorique, la pensée des Lumières.
Gérard Gendet applique le système des figures au Traité, dans le détail, tout en prenant en compte d’autres influences possibles, maçonniques, chevaleresques, hermétistes, kabbalistiques, etc. Il reste prudent dans ses propositions, conscient des difficultés à saisir le cheminement, au carrefour de multiples dépôts traditionnels, de la pensée de Martinès de Pasqually. Ce faisant, il n’oublie pas d’examiner les sujets plus attendus du symbolisme, de la magie cérémonielle ou de l’initiation, dans le cadre du Traité. Il observe également la réception de cette complexité par Louis-Claude de Saint-Martin et Jean-Baptiste Willermoz dans le champ d’une « théologie chrétienne à caractère théosophique » qui se voudra cohérente. Il évalue également l’influence du Traité sur la notion de Bienfaisance, chère au Régime Ecossais Rectifié de Jean-Baptiste Willermoz et sur l’idée de christianisme transcendant portée par Joseph de Maistre.
L’ouvrage, très étayé, agréable à lire, malgré la difficulté du sujet, grâce à une écriture fluide et vivante, permet d’interroger l’herméneutique théosophique si singulière des Elus Coëns de Martinès de Pasqually pour en approcher certaines subtilités. Ce faisant, il met en perspective les fondements du Régime Ecossais Rectifié voulu par Jean-Baptiste Willermoz comme les grands axes de la théosophie de Louis-Claude de Saint-Martin.