Martinès de Pasqually – Jean-Baptiste Willermoz. Vie, doctrine et pratiques théurgiques de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers de Jean-Marc Vivenza. Editions Le Mercure Dauphinois, 4 rue de Paris, 38000 Grenoble, France.
Jean-Marc Vivenza réunit ici une somme considérable de documents au service d’une analyse de la « relation initiatique à l’origine du Régime Ecossais Rectifié ». La documentation en question est la correspondance échangée entre Martinès de Pasqually, fondateur de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers, et Jean-Baptiste de Willermoz de 1767 à 1774.
Le grand intérêt de ce livre est de démontrer combien et comment le Régime Ecossais Rectifié est devenu, selon le vouloir de Jean-Baptiste Willermoz, le réceptacle de la doctrine de la réintégration des Êtres et de son esprit.
« Si, nous dit-il, la doctrine de Martinès a subi au Régime Rectifié une correction dans un sens foncièrement trinitaire, évacuant les traces de modalisme, et insistant comme il semblait normal pour une initiation chrétienne, sur la double nature du « Divin Réparateur », cet acte, ne changea pas la perspective léguée par l’Ordre Coën, mais au contraire, et même dans une certaine mesure, la « purifia », la perfectionna, démontrant, de façon absolument incontestable, que le Rectifié qui contribua à sauver et à préserver les éléments principaux de la doctrine de la réintégration, et cet aspect des choses, pour ne pas dire de la « Chose » mérite réflexion, est détenteur de l’authentique transmission directe, effective et véritable, entre Martinès et nous par l’intermédiaire de Jean-Baptiste Willermoz, y compris celle de la pratique du « culte primitif » dont la trace se fait voir par la conception quaternaire de l’initiation rectifiée et le relèvement de l’autel des parfums, comme nous le mettrons en lumière dans cette étude. »
L’ouvrage, de plus de mille pages, reprend en les étayant davantage en un tout cohérent des études précédentes, articles, interventions lors de colloques, ou autres, de l’auteur. La première partie est consacrée à « l’étrange thaumaturge » Martinès de Pasqually, à sa vie, sa doctrine, ses pratiques même si les zones d’ombre demeurent nombreuses et que, pour beaucoup, Martinès demeure une énigme.
La deuxième partie présente Jean-Baptiste Willermoz depuis ses débuts comme élève des jésuites jusqu’à sa rencontre avec Martinès, en passant par son entrée, fort jeune, en Franc-maçonnerie et son grand intérêt pour les degrés hermétistes.
La troisième partie, la plus importante, traite de la relation entre les deux hommes, depuis les premiers pas de Jean-Baptiste Willermoz chez les Elus Coëns jusqu’à l’organisation des fameuses « Leçons de Lyon » en 1774. Un troisième personnage va bien sûr s’introduire dans cette relation, c’est Louis-Claude de Saint-Martin qui va s’efforcer de poser, clarifier, structurer la pensée de Martinès. Au cours de cette période, dense, complexe, riche, tout ne va pas aller de soi, les questionnements, les doutes, les incertitudes apparaissent et si certains trouvent solution dans l’étude ou la pratique, d’autres demeurent.
La quatrième partie aborde la vie de Jean-Batiste Willermoz après la disparition de Martinès de Pasqually et la confusion qui conduira à la fin de l’Ordre des Elus Coëns (1775-1824).
En conclusion, Jean-Marc Vivenza fait du Régime Ecossais Rectifié le dépositaire de la doctrine des Elus Coëns, et au-delà du « Culte primitif », marqué par le passage du trois au quatre, clé à la fois doctrinale et opérative.
« Certes, précise-t-il, le culte primitif ne sera jamais enseigné en termes directs aux membres du régime réctifié, puisque Willermoz en réservera la connaissance, non pratique, mais théorique, uniquement aux Chevaliers Profès et Grands Profès. Cependant, on placera les frères du régime dans un tel processus de régénération spirituelle, qu’ils en accompliront, sans toujours en être réellement conscients, les principes, les règles, les lois et les cérémonies de ce culte, les amenant à être engagés, lentement et harmonieusement, dans un saint labeur de régénération spirituelle s’accomplissant pendant tout le temps de leur vie maçonnique. »
Reste la question essentielle et très ouverte de l’opérativité, ou des opérativités, qui remplacerait la théurgie des Elus Coëns au sein du Régime Ecossais rectifié, question qui peut trouver réponses dans le dialogue entre la doctrine de la réintégration et la doctrine salomonienne tout au long du déploiement du Régime mais particulièrement dans son quatrième grade de Maître Ecossais de Saint-André.
De nombreuses annexes, documents ou analyses, viennent conforter la thèse de Jean-Marc Vivenza. Au passage il égratigne, à son habitude, les « néo-coëns », rappelant ainsi d’où il parle, mais ce n’est là que périphéries d’un ouvrage fort utile qui insiste, c’est essentiel, sur la matrice Elu Coën du Régime Ecossais Rectifié et donc sur la nature, l’héritage et la finalité de ce magnifique véhicule du « Haut et Saint Ordre » qu’est le RER.