Comme la Lumière a de l’avantage sur les ténèbres
(Tome I, L’Occultisme dans la Belle Epoque – Tome II, Le Maître) par Jean-Marie Fraisse. Editions Energeia.
Nous vous invitons à lire ces deux volumes consacrés à l’histoire du
martinisme sous un beau titre extrait de l’Ecclésiaste.
L’auteur a choisi comme procédé littéraire de donner la parole à un
compagnon, un proche de Papus (Gérard Encausse), témoin imaginaire mais fidèle
des événements qui forment la trame de cette histoire. Pari risqué et cependant
réussi car, si l’histoire du martinisme de la Belle Epoque nous est familière
par les travaux des historiens, la voici vivante, sous nos yeux, grâce à la
plume de Jean-Marie Fraisse. Ce « presque roman historique » n’en
comporte pas moins nombre de nombreux documents qui viennent étayer le propos.
La période présentée court de 1890 à 1905. C’est une période féconde pour
Papus et les Compagnons de la Hiérophanie, période pendant laquelle l’Ordre
Martiniste se développe et qui voit se multiplier les initiatives culturelles,
les créations d’ordres initiatiques ou de revues traitant d’occultisme. C’est
aussi les temps de la lutte entre Papus et Stanislas de Guaita d’un côté, ce
dernier souvent seul au combat, Jules Bois et l’abbé Boullan de l’autre,
lumière et ténèbres, ce qui justifie le titre de l’ouvrage.
La force de ce travail de recherche très important est d’avoir pris en
compte les contextes politiques fort complexes de l’époque et d’avoir replacé,
peut-être pour la première fois, les actions des uns et des autres dans ces
contextes, leur donnant parfois une toute autre signification. Il existe des
jeux d’influence, des corrélations, des mises en réseaux, des interventions
qu’il était nécessaire de mettre en perspective. C’est particulièrement vrai
pour la question de l’alliance franco-russe à laquelle Papus et Maître Philippe
se retrouvèrent mêler. Mais d’autres expressions particulières de l’époque
croisent le mouvement occultiste : anarchisme, anti-sémitisme, mouvements
révolutionnaires divers… et des scandales multiples dont la célèbre
« affaire des fiches » qui impliqua le Grand Orient de France. On
sait les relations compliquées que Papus
eut à entretenir avec la Franc-maçonnerie qu’il voulait rectifier ou réorienter.
Connaître les crispations politiques de l’époque permet aussi de mieux
comprendre ces tensions.
« … tout en continuant de travailler à la reconnaissance de ces
pratiques, et de celles des théories occultistes, par la science officielle,
Gérard croyait bien encore qu’il pourrait arriver à fédérer, voire à diriger
l’ensemble du grand courant de pensée spiritualiste et ésotériste du temps… Et
que cette position lui permettrait d’acquérir, enfin, de l’influence sur la
Franc-maçonnerie.
A travers ce développement du mouvement occultiste, des études
ésotériques, et surtout l’extension de son Ordre Martiniste, Encausse n’avait
donc pas renoncé à ce but précis, qui était d’arriver à opérer un changement d’orientation
de la Maçonnerie, à infiltrer et à chapeauter celle-ci, afin de parvenir,
peut-être un jour, jusqu’à ainsi la « diriger »…
Gérard ambitionnait toujours une telle action, pour que la
Franc-maçonnerie pût selon lui retrouver son orientation originelle, ésotérique
et spiritualiste, et qu’elle fût également guidée vers d’autres projets sociaux
et politiques – différents de ceux qu’elle menait principalement…
Nous verrons plus tard néanmoins, comment notre ami en viendrait, par un
rôle discret, à dénoncer certaines visées, et certaines manœuvres justement de
la Franc-maçonnerie, Gérard réussira même à porter les coups les plus violents
à l’encontre du Grand Orient de France… Des coups, qui auront des répercussions
politiques de tout premier plan, et qui feront vaciller le Gouvernement d’alors
comme la République. Quant à certaines autres actions de notre ami, elles
auraient bien, un jour une portée internationale, et iraient marquer l’Histoire
à jamais. »
Si, aujourd’hui, les relations entre les ordres martinistes, éloignés de
toute préoccupation politique, et les obédiences maçonniques, sont apaisées,
des réticences demeurent qui peuvent trouver leur origine, plus ou moins consciente,
dans ces événements passés.
Même si nous ne suivrons pas l’auteur sur certaines de ces propositions,
comme le rôle éventuel de Papus dans la manipulation
de Ratchkovsky par la rédaction et la diffusion des Protocoles des Sages de Sion, faute d’éléments
tangibles, cet ouvrage restitue fidèlement de manière générale la vie agitée des
mouvements occultistes de l’époque et des personnalités exceptionnelles qui les
animèrent.