Le
Grand Manuscrit d’Alger, tome 3 par Georges Courts. Editions Arqa, 29
Boulevard De La Lise, 13012 Marseille.
Nous
saluons ici l’immense travail accompli par Georges Courts pour mettre à la
disposition des chercheurs, de tous ceux qui s’intéressent à la doctrine de la
Réintégration de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers, fondé
par Martinès de Pasqually, le Cahier vert
plus connu sous l’appellation de Manuscrit
d’Alger dans les milieux autorisés. Georges Courts et les Editions Arqa
nous proposent en trois tomes une très belle édition commentée de ce document
essentiel à la pratique de la théurgie des Elus Coëns. En effet, le Cahier vert fournit de nombreuses indications
techniques mais aussi les orientations permettant de mettre en œuvre les
opérations théurgiques complexes proposées par Martinès de Pasqually à ses
émules.
Avec
ce troisième volume, le lecteur peut comprendre que nous sommes dans un
« pas à pas ». Le « pas à pas » des volumes fait écho au
« pas à pas » de la pratique opérative des Elus Coëns.
Ces
opérations s’inscrivent dans le jeu de miroirs qui se déploie depuis
l’immensité divine jusqu’à l’immensité terrestre en passant par l’immensité
surcéleste et l’immensité céleste. Ce déploiement, conséquence des deux chutes
dans le système de Martines de Pasqually, opère par émanation, émancipation,
création. Depuis la seconde chute, l’homme n’est plus dans le Temple mais le
Temple est dans l’homme et plus encore, Dieu lui-même s’est constitué comme
Temple dans la crypte du monde.
Le
lieu de l’opération semble l’externe, semble seulement, car, oeuvrant à
l’externe, l’opérateur œuvre, par le jeu des miroirs divins, en l’interne,
jusqu’à saisir que l’un et le multiple ne sont ni séparés ni opposés, que
l’interne est l’externe et l’externe est l’interne. La distinction, nécessaire
dans le champ de la création, devient coïncidence dans le champ de
l’émancipation puis se dissout par l’émanation. Aux deux chutes correspondent
deux ascensions apparentes mais en réalité il n’y a là que célébrations,
célébrations accordées aux êtres émanés puis émancipés auxquelles répondent les
célébrations par les Elus Coëns de la liberté de Dieu jusque dans l’opacité de
la création, de la dualité.
Le
jeu est subtil. Il n’est pas insaisissable pour celui qui opère. Il est
insaisissable pour celui qui n’opère pas tant la doctrine ne fait que commenter
la pratique. Le culte célébré par les Elus Coëns, ce culte premier, primitif,
immédiat et non-duel, formalisé dans la dualité qui est la nôtre, renvoie à
l’Un par les reflets multiples qui, d’abord opaques, s’éclaircissent jusqu’à la
parfaite lumière du Divin. Si la possibilité d’une voie directe demeure, elle
fut exprimée par Louis-Claude de Saint-Martin, après avoir réussi les
opérations coëns, évoquée par Jean-Baptiste Willermoz et inscrite dans le
Régime Ecossais Rectifié, il s’agit moins de parcourir une voie, que de
célébrer, pas à pas, en chaque nuance de la palette divine, la totalité du
Divin.
Les
réceptions aux divers grades de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de
l’Univers ne doivent pas être abordées maçonniquement. Elles illustrent le pas
à pas opératif, elles le scellent éventuellement. Le pas à pas lui-même se
réalise par les opérations, grandes ou petites, des Elus Coëns. Leur fonction,
leur justification, leur sens sont exclusivement théurgiques.
Bien
entendu, il est légitime de s’interroger sur l’efficacité du système opératif
destiné aux Elus Coëns. Complexité, lourdeur, incertitude… Certes, mais il
n’est pas question d’efficacité quand on célèbre mais de reconnaissance de la
beauté et de la liberté inscrites ici et maintenant à travers le fait même de
la célébration. C’est parce que le système opératif coën est appréhendé comme
un « pas à pas vers » qu’il demeure largement incompris. Il
s’agit d’un « pas à pas pour », pour le pas lui-même, une danse
absolument libre au sein même d’un ensemble de contraintes. Il y a un grand paradoxe dans cette
complexité apparente qui, par renversement, conduit au simple, ce paradoxe
n’est qu’un reflet du paradoxe de Dieu, Un et multiple. Un et multiple pour
permettre le dialogue apparent, le monologue divin entre théophanies et
épiphanies, entre les manifestations divines et les reconnaissances de Dieu par
les êtres dans ces manifestations.
En
menant à bien ce travail, Georges Courts contribue à la compréhension de la
doctrine de la Réintégration qui imprègne tout le courant martiniste, Ordre des
Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers, Régime Ecossais Rectifié, Théosophie
de Louis-Claude de Saint-Martin, Ordres martinistes depuis Papus, mais aussi
au-delà dans des cercles et courants illuministes. Il contribue aussi à la
pérennité d’un système fragilisé par sa complexité et qui peut heurter le
chercheur par l’incompréhension première qu’il suscite. Cette édition qui fut
une aventure au sein même de la grande aventure du courant martinéziste marque
l’entrée de l’œuvre de Martinès de Pasqually dans le XXIème siècle. Peu
auraient parié, au début du XVIIIème siècle, que l’on parlerait
encore de la doctrine de la Réintégration plus de deux cents ans après son incomplète
mais remarquable élaboration.