Les
Hommes de Désir, entretiens sur le martinisme par Serge Caillet et Xavier
Cuvelier-Roy, Editions Le Mercure Dauphinois.
Après plus de deux siècles de manifestation,
le courant martiniste avait besoin d’une mise en perspective. Ce livre y
contribue sous la forme d’un entretien vivant, passionnant et tout à fait
rigoureux sur le plan de l’information historique et de l’analyse.
Rappelons que le terme de
« martinisme », selon la définition donnée par Robert Amadou et
reprise par Serge Caillet, rassemble l’œuvre de Martines de Pasqually et de
l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers, la théosophie de
Louis-Claude de Saint-Martin, l’œuvre du Régime Ecossais Rectifié de
Jean-Baptiste Willermoz et celle de l’Ordre martiniste depuis Papus, en ses
différentes branches. Ce courant, particulièrement vivant aujourd’hui, ne cesse
d’étonner par sa richesse et son influence discrète sur la vie des idées,
initiatiques ou philosophiques.
Six entretiens permettent de donner cette
perspective recherchée, de se mettre à distance pour mieux suivre les traces de
l’une des aventures spirituelles les plus pertinentes du monde de l’initiation
européenne. En suivant le fil d’Ariane de la chronologie historique, Serge
Caillet et Xavier Cuvelier-Roy rendent compte d’un mouvement qui conserve une
grande cohérence à travers les formes multiples qu’il a su engendrer.
L’histoire du martinisme depuis le XVIIIème
siècle tient à la volonté et à l’intelligence de personnalités exceptionnelles,
parfois difficiles à saisir comme c’est encore le cas pour Martines de
Pasqually, à des rencontres singulières, à des défis spirituels relevés contre
toute attente, dans des contextes historiques souvent mouvementés (Révolution
française, guerre mondiale de 1939-1945 notamment). Au fil des entretiens, ce
que furent ces hommes engagés, héritiers les uns des autres, ce que furent
leurs œuvres, leurs écoles, apparaît au lecteur comme les constituants d’un
courant majeur de l’illuminisme européen et, au-delà, de la spiritualité
européenne.
Six entretiens sont proposés : le siècle
des Lumières, la Belle Epoque, les épigones de Papus, la clandestinité et
l’après-guerre, les années 1960-1980, le
martinisme à l’ère du Verseau. Le martinisme se définit au fur et à mesure des
propos comme une véritable institution intellectuelle, spirituelle et
initiatique, qui se méfie paradoxalement de l’organisation et de
l’institutionnalisation qui fige le mouvement créatif. Ses ramifications et ses
influences sont ainsi multiples, inattendues parfois, de la scène artistique à
l’université. C’est aussi la première fois que sont présentés de manière
structurée et globale les développements récents du courant martiniste,
notamment depuis 1942, date de la restauration coën orchestrée par Robert
Ambelain, jusqu’à nos jours.
Cependant, l’intérêt de ce livre n’est pas
seulement historique. Aux questions pertinentes de Xavier Cuvelier-Roy, très au
fait de la chose, Serge Caillet répond en insistant sur la fonction initiatique
et gnostique (véhicule vers la connaissance) du martinisme. Il en précise les
universaux comme les nombreuses singularités. Il balaie également quelques
préjugés encore tenaces aujourd’hui comme celui qui consiste à opposer théurgie
et voie interne et distingue à juste titre les organisations humaines des voies
initiatiques. Il conclut ainsi :
« Nous avons parcouru plus de deux
siècles d’histoire et… d’histoires. Nous avons rencontré des hommes de désir,
qui, faute, d’être de grands initiés (ça ne veut rien dire !) ont été nos
compagnons de route tout au long de ces entretiens. Quelles leçons pouvons-nous
en tirer, de cette histoire, de ces hommes ? Quelle est, au fond, leur leçon la
plus essentielle ?
Nous nous sommes efforcés de dire le vrai, de
dire ce que nous estimons être vrai. Pourquoi ? Parce que c’est la vérité
qui rend libre. C’est la vérité qui libère, ce qui la rend, d’une certaine façon,
similaire à l’initiation. Car l’initiation doit nous libérer de toutes nos
chaînes. Le martinisme invite les martinistes, qu’importe qu’ils soient
associés en des cercles variés ou asociaux, le martinisme invite les
martinistes à s’engager sur le chemin de la réintégration. Ceci implique très
clairement pour chacune et chacun d’entre eux de se libérer de toute forme
d’aliénation, y compris, de l’appartenance aux ordres initiatiques, qui ne sont
que des béquilles, ô combien utiles parfois, j’en conviens, propres à nous
aider à retrouver le plein usage de nos jambes, ou de nos ailes ! »
Ce livre, nécessaire, propose également au
lecteur de très utiles Annales
martinistes des origines à nos jours, un riche cahier photographique et un
index bibliographique et des noms.
Editions
Le Mercure Dauphinois, 4 rue de Paris, 38000 Grenoble, France.